Comment savoir ce qui se passe à l’intérieur d’une pièce sans pouvoir regarder dedans ? Comment savoir si le bébé dans le ventre de la maman se porte bien ? ou comment savoir à quelle vitesse tourne le noyau solaire sans avoir de moyens pour y rentrer ? … des questions qui, malgré ce que l’on pourrait penser, utilisent une méthodologie similaire pour trouver leur réponse.
Une des très grandes histoires de la science : connaître le Soleil, comprendre son comportement… sa physique ! Quelle chance d’avoir une étoile si proche pour pouvoir l’étudier à fond ! C’est la façon la plus efficace de comprendre ce qui se passe dans les autres étoiles que l’on n’arrive pas à observer avec autant de détail.
Dans cette belle histoire, des scientifiques qui étudient « l’extérieur » du Soleil : les taches, les protubérances … mais nous parlerons d’eux peut-être un autre jour. Aujourd’hui nous parlons de ces scientifiques qui s’entêtent à essayer de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Soleil (et oui, à chacun ses envies). Il y en a qui sont malins, ils prennent le crayon, le papier, la physique et les maths (bon, aujourd’hui il faut bien rajouter l’ordinateur à l’équation) et concoctent des théories pour expliquer ce qu’il peut bien y avoir à l’intérieur du Soleil.
Mais d’autres décident d’observer. Et ils observent. Ils observent longtemps, pendant des années !
L’héliosismologie ou comment deviner l’intérieur solaire
« Mais qu’observent-ils si on ne peut pas voir l’intérieur du Soleil ? », pourriez-vous me demander. Et bien, les astrophysiciens, qui regardent vers le « haut » (le ciel, je veux dire), se sont bien inspirés de ce que faisaient leurs collègues qui regardent vers le « bas » (vous avez deviné, oui, ceux qui étudient la Terre). En effet, les sismologues (les collègues « terriens ») « observent » l’intérieur de la Terre en étudiant la propagation des ondes sismiques qui se produisent lors des tremblements de Terre. Alors les collègues « solaires » se sont demandés pourquoi ils n’en feraient pas autant, et ils ont inventé l’héliosismologie.
Les concocteurs d’intérieurs solaires (ceux du crayon, papier, etc…) ont prédit que des ondes se propageaient à l’intérieur du Soleil. Des sympathiques « ondes p », ou ondes acoustiques ou de pression (qu’on pourrait appeler « ondes glou-glou », mais cet article perdrait en crédibilité, donc on reste avec le nom officiel), et des timides « ondes g » ou ondes de gravité.
Les ondes p sont produites dans la zone plus externe du Soleil, appelée la zone de convection (là où le Soleil bouillonne ). Ce sont des ondes sonores (le bloup-bloup qu’on entend dans notre marmite bouillonnante) qui se propagent et qui traversent l’intérieur du Soleil. En 1962 les vibrations de la surface du Soleil ont été détectées pour la première fois, mais ce n’est qu’en 1980 qu’elles ont été résolues en « modes de pression » par les mesures de l’équipe solaire de Nice au Pôle Sud (c’est vachement plus pratique d’observer le Soleil à un endroit où il ne se couche pas pendant des mois !). Cette détection a eu lieu pour le grand plaisir des collègues du crayon, qui se sont dit qu’ils avaient tout de même fait un très bon travail avec leurs prédictions.
Mais pour essayer de détecter les ondes g, il a fallu envoyer un satellite dans l’espace, le satellite SOHO et le doter d’un instrument, GOLF, qui est capable aujourd’hui de mesurer un déplacement de 1 mm par seconde dans le Soleil, sur des oscillations de 5 minutes, donc un changement de 30 cm dans la surface du Soleil qui fait 1 391 000 km de diamètre ! Mais malgré cette technologie, les « ondes g » s'obstinaient à rester cachées depuis plus de 40 ans d’essais infructueux de détection ! Et la raison de la difficulté pour les détecter est qu’elles sont produites à l’intérieur du Soleil, dans la zone radiative, et elles disparaissent quand elles arrivent à la couche convective. Mais étant à l’intérieur du Soleil, ce sont elles qui peuvent nous donner le plus d’ information sur le noyau solaire.
Dessin d’artiste du satellite SOHO.
Copyright Satellite : ESA/ATG medialab; Soleil : ESA/NASA SOHO, CC BY-SA 3.0 IGO
À la recherche des ondes g
Les ondes p sont comme les bloups dans la marmite, et les ondes g sont comme des vagues dans la baignoire»
Il fallait vraiment réfléchir et s’acharner pour les détecter ! Et bien, Eric Fossat, astronome du Laboratoire Lagrange, après avoir passé une partie de sa vie à voir ces ondes g éviter toute détection, a eu une nouvelle idée. « Les ondes p sont comme les bloups dans la marmite, et les ondes g sont comme des vagues dans la baignoire », mais les ondes g doivent affecter les ondes p quand elles traversent le Soleil, puisqu’elles font bouger le milieu traversé par les ondes p. Comme les ondes acoustiques se propagent par les changements de pression à l’intérieur du Soleil, si le milieu où elles se propagent est déjà en mouvement à cause des ondes g, forcément les ondes p seront impactées par ce mouvement. De plus, les ondes p qui traverseront le Soleil en frôlant le noyau (et grâce à nos amis théoriciens on sait les identifier) amèneront les informations sur le mouvement du cœur du Soleil.
C’est comme l’échographie Doppler » affirme Eric Fossat, les ondes sonores de l’échographie nous transmettant également la vitesse de mouvement du sang du bébé à l’intérieur de la mère.
Et voilà qu’Éric décide de se plonger sur 16,5 années de données de SOHO. Il coupe ces données en blocs de 8h et superpose les 34612 blocs résultants (si vous êtes curieux et que vous faites le calcul, vous verrez qu’il en manque quelques-uns pour faire les 16,5 années complètes, dû aux « vacances » de SOHO en 1998). Avec ces blocs de 8h, qui correspondent à des modes connus de vibration solaire, il va pouvoir trouver des signatures de ces ondes g. L’analyse est très complexe, il cherche une signature sans savoir comment elle va se révéler. Des méthodes statistiques hyper puissantes sont utilisées pour trouver une corrélation entre les 34612 blocs, qui montrerait la signature de la modification des modes p par les modes g. Mais petit à petit, avec des essais et erreurs pendant un an, la signature des modes g commence à se révéler.
Copyright ESA; (Sun’s chromosphere based on SOHO image; credit: SOHO (ESA & NASA))
L’interprétation de ces données est également complexe. Les discussions avec les collègues du groupe solaire de Lagrange sont précieuses, et après beaucoup de calculs, de tests, de vérifications, le verdict est lancé : les ondes g ont été détectées pour la première fois, mais il n’y a pas que cela, pour la première fois aussi, la vitesse de rotation du noyau solaire se révèle. Il tourne 4 fois plus vite que la couche adjacente, la zone radiative, ce qui était complètement inconnu auparavant.
40 ans après les premiers essais, le grand défi relevé a été finalement accompli ! Si ce n’est pas une belle histoire… !
Mais ce n’est pas encore fini ! Parce qu’en astronomie, on connaît rarement la fin, et on cherche toujours. Effectivement, qu’est-ce qui se passerait si l’on prenait les 16,5 années de données, mais cette fois sachant déjà que la signature des ondes g se trouve dedans ? Et que l’on sait comment ces ondes se manifestent. Il est alors beaucoup plus facile de revenir aux données et d’en tirer des informations beaucoup plus précises. Avec de puissantes méthodes statistiques (oui, celles qui disent que si l’on attend d’être riches en gagnant au loto le temps peut devenir trèeeees loooong), on est capable de presser les données au maximum et d’arriver à des précisions dans la mesure de ces modes de vibration du Soleil jamais imaginées auparavant.
Eric Fossat et ses collègues méritent de bonnes vacances… au Soleil ! Vous n’êtes pas d’accord ?
Le lien aux articles scientifiques :
- Asymptotic g modes: Evidence for a rapid rotation of the solar core, Fossat et al. 2017, Astronomy and Astrophysics, 604.
- More about solar g modes, Fossat & Schmider 2018, Astronomy and Astrophysics, sous presse.
- Communiqué OCA
Pour toute information complémentaire ou diffusion de cet article, contactez l'auteur : Olga Suarez - olga.suarez@oca.eu ;
pour plus d'information scientifique : Eric Fossat - eric.fossat@oca.eu