Quand Carianna Herrera a rejoint le Master d’astronomie et astrophysique MAUCA de l’Université Côte d’Azur, porté par l’Observatoire de la Côte d’Azur, en septembre 2020, elle ne se doutait pas qu’elle publierait un article scientifique dans la revue internationale Astronomy & Astrophysics basé sur ses travaux réalisés durant le Master. Cet article étudie la population d’astéroïdes avec des lunes à partir des cratères qu’ils laissent sur les surfaces lors d’impact. Et il fait même la page de couverture de la revue !
Les lunes d’astéroïdes
Les astéroïdes sont des corps rocheux, résidus de la formation des planètes il y a environ 4.5 milliard d’années. La plupart orbitent autour du Soleil entre Mars et Jupiter, dans une région appelée la ceinture principale d’astéroïdes. Le plus gros, Cérès a un diamètre de 939 km, mais la vaste majorité des 1 300 000 astéroïdes connus actuellement sont plus petits que quelques kilomètres. Or, environ un astéroïde sur six possède une petite lune : un autre morceau de roche qui lui tourne autour, tout comme la Lune orbite autour de la Terre, ou les satellites Io, Europa, Ganymède, Callisto autour de Jupiter. On parle alors d’astéroïdes binaires. Le mécanisme de formation de ces lunes d’astéroïde semble un peu fou, mais est corroboré par de nombreuses observations : sous l’effet de la lumière solaire chauffant la surface, les astéroïdes de petite taille (moins de 5-15 km de diamètre) peuvent se mettre à tourner sur eux-même de plus en plus vite, jusqu’à une rotation critique en 2 h (soit un jour de 1 h suivi de 1 h de nuit seulement!). On appelle le processus responsable de cette accélération l’effet YORP. A cette vitesse, la force centrifuge à la surface est aussi forte que la gravité due à la masse de l’astéroïde, et des morceaux de surface sont éjectés ! Ceux-ci se ré-accumulent en orbite autour de l’astéroïde, formant une lune.
De nombreuses propriétés des astéroïdes avec lune sont révélateurs de ce mécanisme, avec entre autres une rotation très rapide et une orientation bien particulière des orbites. En effet, l’effet YORP implique que l’axe de rotation de l’astéroïde s’oriente perpendiculairement à son orbite*.
Un travail de recherche durant le Master MAUCA
Le travail publié en août 2024 par la revue internationale Astronomy & Astrophysics par Carianna Herrera est basé sur un stage qu’elle a réalisé durant son Master d’Astronomie et d’Astrophysique MAUCA. Après sa licence d’ingénieurerie géophysique au Vénézuela, Carianna aurait dû rejoindre les bancs de l’Université Côte d’Azur en septembre 2020. Mais, la pandémie de COVID a retardé son arrivée, et elle n’a pu incorporer le Master MAUCA qu’au second semestre seulement. Ainsi, après un an à Nice, Carianna avait validé son deuxième semestre puis le premier semestre et devait patienter six mois avant de commencer sa deuxième année de Master.
Les responsables du Master lui ont alors proposé d’effectuer un stage pour occuper ce semestre d’attente et gagner en expérience. Carianna a donc effectué un stage sous la direction du Dr. Benoit Carry, astronome au laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur, Université Côte d'Azur, CNRS), co-encadrée par le Dr. Anthony Lagain (Curtin University, Australie et Aix-Marseille Université). Le sujet du stage était la suite directe d’un article récemment publié par leur équipe révélant la présence de cratères d’impacts doubles à la surface de Mars, dûs à des impacts d’astéroïdes binaires. Le point le plus surprenant de cette étude était que les cratères présentaient toutes sortes d’orientation, en apparente contradiction avec leur mécanisme de formation suite à l’effet YORP.
Une population d’astéroïdes avec lunes encore jamais observées
Les astéroïdes impactant Mars sont sur des trajectoires bien particulières. Alors, afin de tester plus en avant l’existence d’une population d’astéroïdes avec lune dont les orientations ne seraient pas spécifiques, Carianna a méticuleusement cherché des traces de cratères doubles à la surface des astéroïdes Cérès et Vesta, orbitant au sein de la ceinture principale d’astéroïdes, qui ont été visités par la sonde Dawn de la NASA en 2011 et 2015. En scrutant les images haute résolution de la surface de ces deux astéroïdes, Carianna a pu identifier, grâce à leurs morphologies, 39 cratères d’impacts d’astéroïdes binaires sur Cérès et 18 sur Vesta. En comparant les propriétés de ces cratères avec des simulations numériques d’impact d’astéroïdes sur ces surfaces (réalisées par D. Vavilov, également co-auteur de l’article et ancien post-doctant au sein du laboratoire Lagrange), Carianna a pu confirmer les résultats de l’étude précédente4 : il semble exister une population d’astéroïdes avec des lunes dont l’orientation dans l’espace est quelconque, qui n’a jamais été observée.
Après ce stage, Carianna a rédigé l’article présentant ses résultats, alors qu’elle effectuait sa deuxième année de Master, sur son temps libre. Après avoir obtenu son diplôme de Master en 2023, Carianna a commencé un doctorat intitulé « Evolution thermique et histoire magmatique de Vénus » à Berlin, au DLR sous la supervision de la Dr. Ana-Catalina Plesa (DLR) et du Prof. Stephan Klemme (Université de Münster). Cet exemple de résultats scientifiques obtenus en peu de temps (mais beaucoup d’efforts !) illustre bien la démarche d’enseignement par la recherche du Master MAUCA, et des capacités scientifiques de Carianna. Bravo !
*On appelle l’angle entre l’équateur d’un corps céleste et son orbite l’obliquité. Celle-ci vaut 23.4 degrés pour la Terre et est la responsable des saisons.
Informations sur le master MAUCA