Les astéroïdes binaires sont composés d’un astéroïde autour duquel tourne un autre astéroïde plus petit. Ils représentent 15% de la population des astéroïdes. Comme pour la Terre et la Lune, les forces de marées qui agissent sur les deux corps amènent le plus petit des deux à un état d’équilibre dans lequel sa période de rotation sur lui-même s’égalise avec sa période orbitale autour de l’autre corps. Ainsi, la Lune montre toujours la même face à la Terre, et cette caractéristique se retrouve pour la plus petite composante des astéroïdes doubles. Une étude dirigée par Wen-Han Zhou, étudiant en thèse de l’Université Côte d’Azur au sein du laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur – Université Côte d’Azur – CNRS), montre que dans le cas des astéroïdes binaires, c’est en fait un autre mécanisme qui conduit à cet état d’équilibre : l’effet Yarkovsky, qui est un effet thermique qui agit sensiblement sur la trajectoire des astéroïdes, mais dont l’effet sur l’état d’équilibre des astéroïdes binaires n’avait pas été identifié. Les effets de marées ne sont donc pas à l’origine de l’état d’équilibre des astéroïdes binaires, ce qui ouvre un nouveau chapitre de notre compréhension de ces astéroïdes binaires.
L’effet Yarkovsky est un effet dû au fait que lorsqu’un astéroïde reçoit les radiations du Soleil, du fait qu’il tourne sur lui-même, la direction de réception de ces radiations est différente de celle de leur ré-émission. Cela génère une force qui, même si elle est très faible, peut perturber la trajectoire de l’astéroïde. Dans cette nouvelle étude, qui s’effectue dans le cadre d’une coopération internationale, les auteurs développent un modèle analytique de l’effet Yarkovsky appliqué aux astéroïdes binaires, composés d’un astéroïde principal autour duquel tourne une plus petite lune, et le vérifient au moyen de simulations numériques prenant en compte cet effet. Ils trouvent que l’effet Yarkovsky peut altérer l’évolution orbitale de la petite lune lorsque celle-ci ne montre pas la même face au corps principal (sa période de rotation n’est pas égale à sa période orbitale). Leur analyse prédit ainsi un nouveau chemin d’évolution de ces couples d’astéroïdes. Si la petite lune tourne sur elle-même dans le même sens que son évolution autour du corps principal, l’effet Yarkovsky la fait migrer vers le corps central pour atteindre l’état d’équilibre où sa période de rotation devient égale à sa période orbitale en une échelle de temps de l’ordre de 100,000 ans, ce qui est plus rapide qu’une synchronisation par les seuls effets de marée. C’est donc l’effet Yarkovsky qui est à l’origine de cette synchronisation. Pour une petite lune qui tourne sur elle-même en sens inverse de son évolution autour du corps principal, l’effet Yarkovsky fait migrer la lune à de plus grandes distances, ce qui pourrait expliquer d’autres caractéristiques observées. De plus, les lunes qui tournent sur elles-mêmes plus vite qu’un certain seuil peuvent migrer vers le corps central jusqu’à ce qu’elles se détruisent, se déforment, ou forment un couple d’astéroïdes en contact si elles résistent.
Les auteurs montrent ainsi que l’effet Yarkovsky, et non les forces de marée, contrôle l’évolution des astéroïdes binaires. Ils auront peut-être un moyen de tester ce nouveau résultat. En effet, la sonde DART de la NASA a effectué un impact à très haute vitesse sur la petite lune Dimoprphos de l’astéroïde Didymos le 26 septembre 2022, dans le cadre du premier test de déviation d’un astéroïde. Si l’impact a fait sortir Dimorphos de l’état d’équilibre et que sa période de rotation n’est plus égale à sa période orbitale, les auteurs prédisent que l’orbite de Dimorphos autour de Didymos doit diminuer d’un centimètre par an, ce qui pourra être mesuré par la sonde Hera de l’ESA qui sera lancée en octobre 2024 pour rejoindre l’astéroïde double à l’automne 2026.
Référence
« The Yarkovsky effect on the long-term evolution of binary asteroids », The Astrophysical Journal Letters 968, L3 - Zhou, W., Vokrouhlický, D., Kanamaru, M., Agrusa, H., Pravec, P., Delbo, M., Michel, P. 2024.
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Patrick Michel, michelp@oca.eu