Une équipe internationale de scientifiques a réussi à produire la première carte de la circulation atmosphérique de Jupiter en utilisant la spectroscopie Doppler, alors que les mesures précédentes étaient obtenues en mesurant les mouvements des nuages à partir d'images séparées dans le temps. Une telle performance technique a été réalisée grâce au spectromètre imageur JOVIAL spécialement dédié à la mesure des mouvements dans l'atmosphère de Jupiter, qui peut être considéré comme une preuve de concept pour de futurs instruments spatiaux.
Quelle est la force du vent sur Jupiter ? Une équipe dirigée par le laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS) et la New Mexico State University (NMSU, États-Unis), avec des collaborateurs du Japon, des États-Unis et d'Europe, a tenté de répondre à cette question avec une nouvelle technique, dans le cadre du projet JOVIAL. Jusqu'à présent, nos connaissances sur la vitesse du vent sur les autres planètes du système solaire sont obtenues en prenant des photos de ces dernières à différents moments et en mesurant le déplacement des nuages. Cette méthode s'appelle le suivi des nuages. Elle a été réalisée à partir d'images prises par des sondes spatiales telles que les missions Voyager ou Cassini de la NASA, le télescope spatial Hubble de la NASA/ESA dans le cadre du programme OPAL (Outer Planet Atmospheres Legacy), ou même des installations au sol.
Jupiter est célèbre pour sa structure en bandes, où les vents circulent vers l'est ou l'ouest en fonction de la latitude. La façon dont le vent souffle en dit long sur l'intérieur de la planète et sur la façon dont l'énergie est transportée de l'intérieur vers l'extérieur. « Il y a encore beaucoup de questions auxquelles nous essayons de répondre et qui pourraient bénéficier d'une vue complète de la dynamique atmosphérique de Jupiter », déclare le co-auteur Raúl Morales-Juberías, professeur associé à l'Institut des mines et de la technologie du Nouveau-Mexique (NM Tech). « La limite du suivi des nuages est qu'ils évoluent, voire disparaissent, ce qui a un impact certain sur les mesures », explique François-Xavier Schmider, directeur de recherche CNRS laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur – Université Côte d’Azur - CNRS) et chercheur principal de JOVIAL. De plus, « le suivi des nuages ne donne pas accès aux mouvements verticaux et a une capacité très limitée pour déduire la circulation méridienne (le long des méridiens) pour Jupiter en raison de la structure en bandes, alors que ces éléments sont cruciaux pour une compréhension complète du transport d'énergie », ajoute François-Xavier Schmider.
La technique alternative envisagée par JOVIAL consiste à mesurer directement le mouvement atmosphérique par l'effet Doppler. Cet effet désigne le changement de longueur d'onde qui se produit lorsqu'un objet qui émet ou réfléchit des ondes (lumineuses ou sonores) se déplace suffisamment vite par rapport à l'observateur. On peut l'entendre comme un changement de tonalité dans le cas des ondes sonores, comme le passage d'une ambulance, ou comme un changement de couleur dans le cas de la lumière, qui devient plus bleue lorsqu'elle se rapproche de l'observateur et plus rouge lorsqu'elle s'en éloigne. L'effet Doppler étant sensible à tout déplacement vers l'observateur, ces mesures permettent en principe d'accéder aux trois dimensions de la circulation atmosphérique. « Pouvoir mesurer la vitesse des flux verticaux dans l'atmosphère de Jupiter permettrait des avancées majeures dans la compréhension du transport de la chaleur et des éléments depuis l'intérieur de la planète », indique le co-auteur Tristan Guillot, directeur de recherche CNRS, laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur – Université Côte d’Azur - CNRS).
L'instrument JOVIAL est un interféromètre qui peut produire une image de la planète ainsi que sa carte de vitesse Doppler, en suivant le déplacement infinitésimal des lignes spectrales de la lumière solaire réfléchie par Jupiter. Les mouvements recherchés sont de l'ordre de 100 mètres par seconde, soit des déplacements aussi faibles que 0,004 angström pour une raie spectrale dans le domaine visible. Les nouveaux résultats ont été obtenus grâce au projet NASA-EPSCoR « Jovian Interiors from Velocimetry Experiment in New Mexico » (JIVE in NM), dans le cadre duquel une copie de l'instrument JOVIAL a été montée au foyer du télescope solaire Dunn, situé à Sunspot, au Nouveau-Mexique. « Ce télescope historique construit dans les années 1960 par l'US Air Force pour étudier le Soleil possède une excellente qualité optique et le site bénéficie de conditions d'observation optimales », rapporte Jason Jackiewicz, professeur au NMSU et directeur scientifique de JIVE in NM.
Après des résultats préliminaires publiés il y a cinq ans, où le vent zonal moyen en fonction de la latitude était indiqué, l'équipe a franchi une étape importante en produisant une carte complète de la vitesse zonale de la planète, résultant de douze nuits de données. En d'autres termes : une carte bidimensionnelledes vents zonaux en fonction de la latitude et de la longitude. C'est la première fois qu'une telle carte est obtenue avec une telle technique pour l'une des planètes géantes. « Je suis particulièrement heureux de voir la grande tache rouge se détacher sur la carte des vents zonaux », déclare Patrick Gaulme, collaborateur scientifique à l'Observatoire d'État de Thuringe. La carte des vents zonaux présente une excellente concordance avec les résultats obtenus par suivi des nuages, ce qui valide la technique.
Outre la carte des vents zonaux, l'équipe publie des cartes des mouvements atmosphériques méridiens et verticaux, même si celles-ci doivent être prises avec plus de précautions. En effet, ces mouvements sont plus sensibles au bruit que les flux zonaux, en raison de la façon dont le signal est moyenné pour produire une carte. Les valeurs trouvées semblent trop importantes par rapport aux attentes théoriques. « Nous nous trouvons dans la situation que rencontrent souvent les observateurs équipés d'un nouvel instrument : ce que nous trouvons est-il quelque chose d'inconnu qui était inaccessible avec l'instrumentation existante ou est-ce un comportement bizarre de notre nouvel instrument », explique Patrick Gaulme. La science repose sur la recherche, qui comporte des étapes intermédiaires au cours desquelles les résultats inattendus doivent faire l'objet d'une étude plus approfondie.
Figure 1. Image reconstruite et carte de vitesse zonale de Jupiter dérivée des données obtenues avec JOVIAL/JIVE à Sunspot, NM, comparée à une image en couleur de Jupiter prise le 4 mai 2018. Les couleurs rouge et bleue indiquent les vents vers l'est et vers l'ouest, respectivement. Les cartes sont construites en empilant douze nuits de données prises entre le 4 et le 31 mai 2018. Les données proches des pôles de Jupiter étaient trop bruitées pour être incluses dans les cartes moyennées. L'image de Jupiter est due à l'astronome amateur Damian Peach et a été fournie gracieucesement par Peter Rosén qui en a assuré le traitement.
Figure 2. Cartes complètes du flux de Jupiter (en haut) et de la vitesse zonale (en bas) obtenues par l'instrument JOVIAL, identiques à la figure précédente et représentées ici en projection de Mercator, en fonction de la longitude et de la latitude, exprimées en degrés.
Pour répondre fermement à cette question, de nouvelles observations, avec des réglages instrumentaux différents, seront nécessaires, « si les conditions météorologiques et le financement le permettent », ajoute Jason Jackiewicz. La prochaine amélioration significative sera obtenue en connectant les instruments JOVIAL derrière un dispositif d'optique adaptative qui améliorera la résolution spatiale sur la planète et réduira les biais possibles dans les mesures. « Pour changer la donne, il faudrait placer un instrument similaire dans l'espace, car 99 % de nos problèmes sont liés à la turbulence atmosphérique, qui altère les mesures », explique François-Xavier Schmider. Conformément à la mission phare Uranus Decadal Survey de la NASA, un concept codirigé par Amy Simon, scientifique principale à la NASA Goddard, un instrument d'imagerie Doppler axé sur l'étude de la dynamique atmosphérique serait d'une valeur inestimable. En attendant, l'équipe travaille déjà d'arrache-pied à l'analyse de nouvelles données prises à l'été 2023 en employant - pour la première fois - l'optique adaptative qui, espérons-le, réduira considérablement les problèmes causés par l'atmosphère turbulente de la Terre.
L'instrument JOVIAL sur une table optique dans la salle d'observation du télescope solaire Dunn. Photo Cristo Sanchez
Références
« Three-dimensional atmospheric dynamics of Jupiter from ground-based Doppler imaging spectroscopy in the visible », François-Xavier Schmider, Patrick Gaulme, Raúl Morales-Juberías, Jason Jackiewicz, Ivan Gonçalves, Tristan Guillot et al, Planet. Sci. J. 5 100 (2024)
Contacts
François-Xavier Schmider, directeur de recherche CNRS, laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS), schmider@oca.eu.
Tristant Guillot, directeur de recherche CNRS, laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS), Tristan.Guillot@oca.eu.