bennu vignette

La mission OSIRIS-REx de la NASA est partie à la découverte de l’astéroïde Bennu pour en récolter des échantillons en octobre 2020. Cette aventure spatiale a offert son lot de surprise aux scientifiques et leur a permis de mieux connaître ces petits corps du système solaire. En effet, grâce aux données récoltées par la mission, une équipe dirigée par des chercheurs de l'Université d'Arizona et du Laboratoire Joseph-Louis Lagrange (CNRS-Université Côte d'Azur-OCA) a conclu que les astéroïdes avec des roches très poreuses comme Bennu ne sont pas recouvert de particules fines (le régolithe) comme cela était attendu jusqu’à présent. Tel est le sujet d’un article paru dans Nature le 6 octobre 2021.

L’analyse des observations astronomiques obtenues par des télescopes depuis l'orbite terrestre avaient suggéré la présence de larges quantités des particules fines plus petites que quelques centimètres sur Bennu. Cela aurait été parfait pour qu'OSIRIS-REx puisse collecter des échantillons sans difficulté. Mais les premières images de la surface de Bennu obtenues par la mission spatiale ont montré une surface couverte de rochers et sans régolithe évident, un grand challenge pour l’échantillonnage ! « Le vaisseau spatial a collecté des données à très haute résolution pour toute la surface de Bennu. Au-delà de l'intérêt scientifique, le manque de régolithe fin est devenu un défi pour la mission elle-même, car le vaisseau spatial a été conçu pour collecter… du régolithe ! », explique Dante Lauretta, professeur d’université d’Arizona et principal investigator de la misison OSIRIS-REx, coauteur de cet étude.

Une nouvelle recherche, publiée dans Nature et dirigée par Saverio Cambioni, post-doctorant, et Marco Delbo, directeur de recherche CNRS au laboratoire Lagrange, a utilisé des données dans l’infrarouge thermique de la surface de Bennu et une nouvelle méthode d’analyse basée sur l'apprentissage automatique (machine learning) pour résoudre le mystère.

« On savait que l'émission thermique du régolithe fin est différente de celle des roches plus grosses car la première est contrôlée par la taille de ses particules, tandis que la seconde est contrôlée par la porosité de la roche », précise Marco Delbo. « Cependant avec des méthodes classiques d’analyse, je n’arrivais pas bien à séparer les deux composants dans les données de température des astéroïdes. Quand Saverio Cambioni m’a rendu visite à Nice et qu’il m’a montré les techniques d’apprentissage automatique pour résoudre ce problème, nous y avons vu un potentiel énorme ! Nous avons commencé à utiliser cette approche pour savoir si du régolithe fin était présent entre les roches sur la surface de Bennu », poursuit Marco Delbo.

L'équipe a d'abord construit une bibliothèque d'exemples d'émission thermique associée à des régolithes fins mélangés dans différentes proportions avec des roches de porosité variable. Ensuite, ils ont utilisé des techniques dites d'apprentissage automatique pour enseigner à un ordinateur comment « relier les points » entre les exemples. Un logiciel de machine learning a été utilisé pour analyser l'émission thermique de 122 zones à la surface de Bennu observées à la fois pendant la journée et la nuit. « Seul un algorithme d'apprentissage automatique pouvait explorer efficacement un ensemble de données aussi volumineux », précise Saverio Cambioni. Il a fallu d’ailleurs faire appel au centre de calcul de l’Observatoire de la Côte d’Azur pour réaliser cette opération. Une fois l'analyse des données terminée, Saverio Cambioni et ses collaborateurs ont trouvé quelque chose de surprenant : le régolithe fin est présent sur Bennu, mais en petite quantité et il n’est pas distribué au hasard sur Bennu : il y a systématiquement moins de régolithe fin là où les roches ont une porosité plus élevée, ce qui correspond à la majeure partie de la surface de l’astéroïde.

L'équipe a conclu que très peu de régolithe fin est produit à partir des roches très poreuses de Bennu parce qu'elles sont comprimées plutôt que fragmentées par les impacts de météorites. « Comme une éponge, les pores dans les roches amortissent les impacts des météorites. Ces résultats sont également en accord avec les expériences de laboratoire d’impact à des vitesses de plusieurs km/s. Fondamentalement, une grande partie de l'énergie de l'impact sert à écraser les pores limitant la fragmentation des roches et la production de régolithe fin », explique Chrysa Avdellidou, co-autrice de l'étude et post-doctorante au Laboratoire Lagrange.

De plus, les fissures causées par le chauffage durant le jour et le refroidissement durant la nuit des roches de Bennu se produit plus lentement dans les roches poreuses que dans les roches plus denses, freinant davantage la production de régolithe fin.

regolhite marco

Figure : La production de régolithes fins est diminuée en présence de roches à haute porosité. Sur les astéroïdes, les roches à porosité plus élevée sont compactées par les impacts de météorites plutôt que d'être excavées. Les chocs thermiques dans une roche plus poreuse sont plus faibles que dans une roche plus dense, ce qui signifie que la première pourrait être moins susceptible de produire un régolithe fin que la seconde (adaptée à partir de l’article de Saverio Cambioni et al. Nature 2021).

Le chercheurs ont utilisé des données d'autres missions spatiales pour corroborer leurs conclusions. La mission Hayabusa2 de l'Agence Spatiale Japonaise (JAXA) qui a étudié et échantillonné Ryugu, un astéroïde carboné comme Bennu, a découvert qu'il manquait également du régolithe fin et que sa surface est dominée par des roches à haute porosité. Inversement, la mission Hayabusa de la JAXA sur l'astéroïde Itokawa en 2005 a révélé une quantité importante de régolithe fin à sa surface. Itokawa est un astéroïde de « type S », dont les roches ont une composition différente de celles de Bennu et Ryugu. Une étude précédente également de Saverio Cambioni et al. (2019, Icarus, 325, 16–30) a fourni la preuve que les roches d'Itokawa sont moins poreuses que celles de Bennu et Ryugu en utilisant des observations de la Terre.

L'équipe prédit que de grandes quantités de régolithe fin devraient être rares sur les astéroïdes carbonés, qui sont les plus courants de tous les types d'astéroïdes et dont on pense qu'ils ont des roches à haute porosité comme Bennu. En revanche, le régolithe fin devrait être plus commun sur les astéroïdes de type S, qui sont le deuxième groupe le plus peuplé du système solaire, et on pense qu'ils ont des roches plus denses et moins poreuses que les astéroïdes carbonés.

« C'est une pièce importante dans le puzzle de ce qui détermine la diversité des surfaces des astéroïdes. On pense que les astéroïdes sont des fossiles du système solaire, donc comprendre l'évolution qu'ils ont subie dans le temps est crucial pour comprendre comment le système solaire s'est formé et a évolué », affirme Saverio Cambioni. « Maintenant que nous connaissons cette différence fondamentale entre les astéroïdes carbonés et de type S, les futures équipes pourront mieux préparer les missions de prélèvement d'échantillons en fonction de la nature de l'astéroïde cible. »

Marco Delbo, directeur de recherche CNRS, et Chrysa Avdellidou, post-doctorante, du laboratoire Joseph-Louis Lagrange, et Antonella Barucci, astronome, et Prasanna Deshapriyadu, post-doctorant, du LESIA à l'Observatoire de Paris ont participé à cette étude et ont bénéficié du support du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES). Marco Delbo et Chrysa Avdellidou remercient aussi le soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour le projet « ORIGINS » (ANR-18-CE31-0014). Chrysa Avdellidou a été soutenue par l'ANR dans le cadre du projet « Investissements d'Avenir » de l’Université Cote d’Azur (UCAJEDI ANR-15-IDEX-01). L’Université d'Arizona dirige l'équipe scientifique OSIRIS-REx et la planification de l'observation scientifique et le traitement des données de la mission. Le Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt, dans le Maryland, assure la gestion globale de la mission, l'ingénierie des systèmes et la sécurité et la de mission OSIRIS-REx. Lockheed Martin Space à Littleton, Colorado, a construit le vaisseau spatial et assure les opérations de vol. Goddard et KinetX Aerospace sont responsables de la navigation du vaisseau spatial OSIRIS-REx. OSIRIS-REx est la troisième mission du programme New Frontiers de la NASA, géré par le Marshall Space Flight Center de la NASA à Huntsville, en Alabama, pour la Direction des missions scientifiques de l'agence à Washington, D.C, Etats Unis.

Référence

Fine-regolith production on asteroids controlled by rock porosity, S. Cambioni, M. Delbo, G. Poggiali, C. Avdellidou, A.J. Ryan, J.D.P. Deshapriya, E. Asphaug, R.-L. Ballouz, M.A. Barucci, C.A. Bennett, W.F. Bottke, J.R. Brucato, K.N. Burke, E. Cloutis, D.N. DellaGiustina, J.P. Emery, B. Rozitis, K.J. Walsh et D.S. Lauretta. Nature, 6 octobre 2021. DOI : 10.1038/s41586-021-03816-5

Contacts

Chercheur CNRS l Marco Delbo l T +33 4 92 00 19 44 l marco.delbo@oca.eu