La mission OSIRIS-REx de la NASA a produit une quantité importante de nouvelles connaissances sur l’astéroïde Bennu et sur le matériau que la sonde récoltera dans moins d'une semaine, le 20 octobre 2020. Dans une collection dédiée de six articles publiés le 8 octobre 2020 dans les journaux Science et Science Advances, les scientifiques de la mission présentent de nouvelles découvertes sur le matériau de surface de Bennu, sur ses caractéristiques géologiques et sur son histoire dynamique. Les données obtenues les font aussi suspecter que les échantillons qui seront récoltés seront très différents des météorites que nous avons déjà sur Terre. Patrick Michel, Marco Delbo, Chrysa Avdellidou et Yun Zhang, chercheurs de l'UMR Lagrange (CNRS-UCA-OCA), sont co-auteurs de certains de ces articles.
Ces travaux viennent confirmer que ces petits astéroïdes sont d’une complexité et d’une richesse extraordinaires, concernant leur géologie, leur composition et les processus qu’ils subissent pendant leur évolution. Ce communiqué résume les résultats auxquels les chercheurs précités ont contribué.
Les scientifiques ont notamment découvert que le site de récolte choisi appelé Nightingale est constitué d’un matériau qui a seulement été exposé récemment à l’environnement hostile de l’espace, ce qui signifie que la mission récoltera et ramènera sur Terre le matériau le moins altéré de l’astéroïde. Nightingale fait partie d’une population de cratères jeunes, de couleur plus « rouge » que le reste. Les couleurs de Bennu1 sont bien plus diverses qu’on l’anticipait à l’origine. Cette diversité résulte de la combinaison de différents matériaux hérités du corps parent de Bennu2 et de différentes durées d’exposition à l’espace.
Ces découvertes constituent une avancée majeure concernant un problème largement débattu au sein de la communauté des planétologues : comment les astéroïdes primitifs tels que Bennu changent en termes de ces couleurs lorsqu’ils sont exposés aux processus d’érosion spatiale, tels que le bombardement des rayons cosmiques et le vent solaire. Alors que Bennu apparaît très noir à l’œil nu, les auteurs illustrent la grande diversité de la surface de Bennu en utilisant un rendu en fausses couleurs des données multispectrales récoltées par la caméra MapCam (Figure 1). Le matériau le plus frais sur Bennu (le plus récemment exposé à l’espace), tel que celui trouvé sur le site Nightingale, est spectralement plus rouge que la moyenne et donc apparaît rouge sur les images de l’article de DellaGiustina et al., alors que le matériau apparaît bleu lorsqu’il a été exposé à l’érosion spatiale pour une durée intermédiaire. Tandis que le matériau continue à subir l’érosion spatiale sur des durées plus longues, sa brillance augmente dans toutes les longueurs d’onde, sa couleur bleue devenant moins intense et tendant vers la couleur spectrale moyenne de Bennu. Rien n’est simple !
DellaGiustina et al. montrent que deux types principaux de roches co-existent à la surface de Bennu : des roches sombres et rugueuses et des roches brillantes et lisses (moins communes). Ces différents types se sont peut-être formés à différentes profondeurs du corps parents de Bennu. Par ailleurs, les types de roches ne diffèrent pas seulement visuellement mais ont aussi leurs propres propriétés physiques. Rozitis et al. montrent que les roches sombres sont plus fragiles et plus poreuses, tandis que les roches brillantes sont plus résistantes et moins poreuses. Cependant, les deux types de roches sont plus fragiles que ce que les chercheurs supposaient. Rozitis et al. suspectent que les roches sombres de Bennu (le type, le plus fragile, le plus poreux et le plus commun) ne survivrait pas à la traversée de l’atmosphère terrestre. Il est ainsi probable que les échantillons de Bennu qui seront ramenés sur Terre rempliront une case manquante car ce type de matériau n’est probablement pas présent dans nos collections de météorites.
Figure 1: Carte en fausses couleurs composites Rouge-Vert-Bleue de l’astéroïde Bennu. Une carte en deux dimensions et les images par la sonde sont super-imposées sur un modèle de forme de l’astéroïde pour créer ces composites en fausse couleur. Dans ces composites, les terrains représentant la couleur moyenne ou plus bleue que la moyenne sont en bleu, alors que les surfaces plus rouges que la moyenne sont en rouge. Les surfaces claires et vertes correspondent aux endroits où du matériau de type pyroxène est présent, dont l’origine est probablement un autre astéroïde (Vesta, le 2e plus gros astéroïde). Les aires noires à proximité des pôles n’ont pas de données. Crédit: NASA/Goddard/University of Arizona.
Bennu est une pile de roche en forme de diamant (ou de toupie) flottant dans l’espace, mais il est bien plus que ce que l’on voit et révèle une géologie totalement fascinante ! Les données obtenues par l’altimètre laser OLA à bord d’OSIRIS-REx fourni par l’Agence Spatiale Canadienne ont permis de développer un modèle en trois dimensions de l’astéroïde, avec une résolution de 20 cm, ce qui est sans précédent à ce niveau de détails et de précision. Daly et al. expliquent comment l’analyse détaillée de la forme de l’astéroïde a permis de mettre en évidence des monticules en forme de crêtes sur Bennu qui s’étendent d’un pôle à l’autre, mais qui sont suffisamment subtiles pour ne pas être aisément perçus par l’œil humain. Leur présence avait déjà été recherchée, mais leur extension d’un pôle à l’autre est apparue évidente seulement lorsque les hémisphères Nord et Sud ont été séparés dans les données d’OLA pour comparaison. Le modèle numérique de terrain montre aussi que ces deux hémisphères ont des formes différentes. L’hémisphère Sud apparaît plus lisse et plus arrondi, ce que les scientifiques interprètent comme le résultat de la présence en grand nombre de gros rochers de surface qui piègent le milieu granulaire mobilisable environnant. La forme de toupie de Bennu est donc bien plus complexe quand on accède à ses détails et nous racontent une histoire géologique de l’astéroïde
Un autre article par Scheeres et al. examine le champ de gravité de Bennu, déterminé par le suivi des trajectoires de la sonde OSIRIS-REx et des particules éjectées naturellement de la surface de Bennu. L’utilisation des particules comme sondage de la gravité est totalement fortuite ! Avant la découverte de telles éjections depuis Bennu en 2019, l’équipe était inquiète de ne pouvoir cartographier le champ de gravité de Bennu à la précision exigée en utilisant uniquement les données de la trajectoire de la sonde. La présence naturelle de douzaines de mini-sondes de gravité (les éjectas de Bennu) ont permis à l’équipe d’excéder amplement les exigences et d’obtenir des indices sans précédent concernant l’intérieur de l’astéroïde. En particulier, le champ de gravité reconstruit montre que l’intérieur de Bennu n’est pas uniforme. En fait, il contient des poches de hautes et basses densités du matériau. C’est comme s’il y avait une zone de vide au centre de l’astéroïde, dans laquelle on pourrait insérer deux stades de foot ! De plus, la boursouflure à l’équateur de Bennu a une densité très faible, ce qui suggère que la rotation de Bennu sur lui-même et la force centrifuge qu’elle provoque élève le matériau, le rendant moins dense. Ce sondage indirecte de la structure interne de Bennu peut nous permettre de mieux comprendre comment il s’est formé par agglomération de roches, lors de la destruction de son corps parent par une collision.
Les 6 publications de cette collection spéciale, qui montrent à quel point Bennu contient une richesse d’informations, utilisent les données globales et locales récoltées par OSIRIS-REx de Février à Octobre 2019. Elles démontrent pleinement que les missions d’exploration et de retours d’échantillons d’astéroïdes sont essentielles pour comprendre l’histoire et l’évolution de notre Système Solaire. Aucune de ces connaissances n’auraient pu être obtenues avec des observations depuis le sol terrestre.
La mission est à moins de deux semaines de l’accomplissement de son plus grand objectif : la récolte d’un échantillon d’un astéroïde primitif, hydraté et riche en matière organique. OSIRIS-REx quittera Bennu en 2021 pour un retour des échantillons sur Terre le 24 Septembre 2023.
Chrysa Avdellidou et Yun Zhang bénéficie d’une bourse jeune chercheur du programme IDEX JEDI de l’Université Côte d’Azur (UCA). Ces études bénéficient du soutien financier du CNES, des Académis 2 et 3 de l’IDEX JEDI de l’UCA et du contrat No. 870377 du programme H2020 de l’Union Européenne (projet NEO-MAPP).
1. Qui correspondent à des variations de la pente du spectre dans le domaine de longueurs d’onde du visible.
2. Une étude a déjà montré que Bennu est un agglomérat formé par la destruction d’un corps parent par collision dans la Ceinture des astéroïdes entre Mars et Jupiter (Michel & Ballouz et al. 2020, Nature Communications 6).
Références
DellaGiustina et al., Variations in color and reflectance on the surface of asteroid (101955) Bennu, Science, doi: 10.1126/science.abc3660.
Daly et al., Hemispherical differences in the shape and topography of asteroid (101955) Bennu, Science Advances (open access) doi: 10.1126/sciadv.abd3649.
Rozitis et al., Asteroid (101955) Bennu’s weak boulders and thermally anomalous equator, Science Advances (open access) doi: 10.1126/sciadv.abc3699
Scheeres et al., Heterogenous mass distribution of the rubble-pile asteroid (101955) Bennu , Science Advances (open access) doi: 10.1126/sciadv.abc3350
Contacts
Patrick Michel, directeur de recherche CNRS : +33 6 88 21 28 33 - michelp@oca.eu
Marco Delbo, directeur de recherche CNRS - delbo@oca.eu
Chrysa Avdellidou, post-doctorante à l'UMR Lagrange (CNRS-UCA-OCA) - chavdell@gmail.com
Yun Zhang, post-doctorante à l'UMR Lagrange - yun.zhang@oca.eu