Anthony Meilland est chargé de recherche au CNRS et affecté au laboratoire Joseph-Louis Lagrange de l’observatoire de la Côte d’Azur (CNRS – UNS – OCA). En 2018, il travaille cent soixante jours à l’intégration de l’instrument MATISSE (Multi Aperture mid-Infrared SpecroScopic Experiment) sur le Very Large Telescope (VLT) de l’observatoire de Cerro Paranal au Chili. Spécialiste de l’interférométrie, l’European Southern Observatory (ESO) le charge d’une mission à haute responsabilité sur place : rendre accessible l’instrument à l’ensemble des chercheurs.
Son retour en France est l’occasion de revenir sur sa mission, ses rôles, son quotidien. Il raconte l’expérience scientifique mais aussi humaine d’un projet d’envergure internationale dont la France a la responsabilité auprès de l’ESO. Devenu l’instrument interférométrique le plus puissant au monde dans le domaine de longueur d’onde de l’infrarouge moyen, MATISSE a été conçu, financé et construit en étroite collaboration avec l’ESO par un consortium de laboratoires et d’instituts : français (Laboratoire J.-L. Lagrange – CNRS-INSU et Observatoire de la Côte d’Azur - Université de Nice Sophia-Antipolis, membres de l’Université Côte d’Azur); allemands (MPIA, MPIfR et Université de Kiel), hollandais (NOVA et Université de Leiden) et autrichiens (Université de Vienne). L’Observatoire Konkoly et l’Université de Cologne ont également apporté leur soutien à la fabrication de l’instrument. Des personnels du Laboratoire IPAG de l’OSUG de Grenoble et du CEA à Saclay contribuent à la conduite des programmes scientifiques.
L’observatoire de Paranal est situé dans le désert d’Atacama au Chili. Choisi pour sa situation géographique idéale il profite de conditions d’observation du ciel exceptionnelles en raison de la combinaison entre la sécheresse extrême du lieu, la très faible pollution lumineuse et l’altitude. Avec MATISSE, l’objectif des chercheurs est l’observation des disques protoplanétaires ainsi que la compréhension de la formation de la Terre et des planètes. Pour cela, l’instrument leur permettra d’observer le ciel avec un niveau de détails inégalé́ dans le domaine de l’infrarouge moyen - de 3 à 13 microns de longueur d’onde - et de recombiner la lumière de quatre des huit télescopes du VLT au Mont Paranal au Chili.
L’Observatoire de la Côte d’Azur participe depuis quinze ans au développement de ce projet. La dernière année de test a été réalisée au laboratoire Lagrange.
Pouvez-vous nous expliquer l’instrument MATISSE et ses fonctions?
«MATISSE est un instrument interférométrique conçu pour mieux comprendre la formation de la Terre et des planètes. Il recombine les faisceaux lumineux de quatre des huit télescopes du VLT observant le même objet céleste. Les interférences de lumière ainsi générées permettent des observations de grande précision dans le domaine de l’infrarouge moyen.
Conçu par un consortium scientifique de plusieurs instituts et structures de recherches MATISSE observera, à proximité́ des étoiles jeunes, les poussières et le gaz qui sont les briques élémentaires à l’origine de la formation des planètes. L’environnement des étoiles plus jeunes que notre Soleil, difficilement observé jusqu’à maintenant, va nous révéler les conditions dans lesquelles se forment les planètes de différents types : géantes et gazeuses comme Jupiter, ou rocheuses et de taille plus modeste comme la Terre. Ce sont des dizaines de thèses, conduites au sein de nombreux laboratoires et instituts de par le monde, qui vont maintenant pouvoir s’appuyer sur les observations de MATISSE.»
Quelles ont été vos fonctions sur le projet Matisse ?
«J’ai commencé à travailler sur MATISSE durant mon post-doctorat avant d’être recruté au CNRS en 2012. J’ai participé au développement du logiciel informatique par la mise en place des algorithmes de traitement des données de l’instrument. Puis dans un second temps, j’ai optimisé le pilotage avec des réglages fluides afin de rendre l’instrument accessible à tous.»
Comment s’est traduit votre rôle « d’ambassadeur » de MATISSE au VLT ?
«D’un point de vue technique ma mission était de développer la façon dont MATISSE allait communiquer avec son environnement. Il était question de finaliser le développement du logiciel de l’instrument tout en respectant son intégration parfaite au sein de l’infrastructure du VLT. Sur place, je tenais le rôle du coordinateur c’est-à-dire que je devais faire le lien entre les équipes techniques et scientifiques de l’ESO et les chercheurs du consortium de MATISSE. Faire l’intermédiaire entre les parties, établir un rapprochement des points de vue pour une meilleure collaboration et former quelques personnes représentent les axes majeurs de ma mission. Le fait d’endosser cette place de représentant avec ses responsabilités m’a apporté une perspective réellement différente.»
Combien de temps êtes-vous resté dans le désert ?
«Je suis resté un an à travailler avec l’organisation, je suis rentré fin septembre 2018 puis y suis retourné en novembre. J’ai passé cent soixante jours à travailler sur le site. Mon prochain déplacement est prévu pour avril 2019.»
Avez-vous développé une partie du logiciel là-bas ?
«Tout à fait. Ici, j’ai développé toute la partie tirée des connaissances déjà enregistrées sur d’autres types d’instrument comme VEGA dix ans plus tôt (instrument français d’interférométrie installé sur un réseau de six télescopes au Mont-Willson aux Etats-Unis). L’algorithme que nous avons implémenté sur MATISSE est très similaire à l’algorithme conçu pour VEGA dans une version plus moderne. Cet algorithme effectue une analyse des images des franges d'interférence en temps réel, qui déduit les commandes à envoyer aux lignes à retard du VLTI. Il effectue ce travail afin de compenser les perturbations atmosphériques et ainsi égaliser le chemin parcouru par la lumière venant des quatre télescopes.»
Quelle a été la plus grande difficulté de la mission ?
«Une longue période de test appelée commissionning a permis de réaliser les premières observations et a été une vraie réussite. Malheureusement quelques mois plus tard en septembre, un disfonctionnement d’un élément électrique impacta l’un des mécanismes logé à l’intérieur même des cryostats peu accessibles. Un travail conséquent de remise en route était nécessaire et nous demanda de faire un choix : arrêter ou poursuivre les tests. Chaque variable du projet implique beaucoup de temps et d’argent, ce genre de décision est extrêmement complexe. Nous avons finalement décidé de poursuivre. Cette situation a permis de tester la parfaite réactivité et l’opiniâtreté de nos équipes internationales pour remettre en fonction l’instrument dans les 48 heures.»
- © Photo : P. Horalek / ESO
Qu’est-ce qui a été le plus enrichissant ? Scientifiquement et humainement ?
«L’ESO est une structure extrêmement importante. Au Mont Paranal nous découvrons enfin ces instruments opérationnels implantés sur le VLT que l’on ne connaissait que de nom : GRAVITY, MUSE, GALACSI ou encore PIONIER. L’observatoire accueille une centaine de personnes en permanence, la nuit une vingtaine d’astronomes sont présents sur la montagne et contrôlent les quatre télescopes géants ainsi que les modes interférométriques. Ils n’ont pas connaissance de MATISSE, il s’agit alors de les former. Cet environnement de compétences diverses permet d’accéder à des expériences et techniques complètement différentes de ce que je fais habituellement, c’est très enrichissant. Certains instruments vont être conçus pour observer les galaxies les plus lointaines tandis que d’autres sont spécifiques aux détails de la surface des étoiles. Certains vont quant à eux récolter les données qui feront l’objet de statistiques. Tout ce travail est fascinant.»
Qui pourra utiliser MATISSE ?
«Une véritable communauté d’utilisateurs travaillant sur différents programmes, certains chercheurs hors du consortium de MATISSE vont ainsi apporter des axes de recherches différents. Rendre accessible l’instrument et son fonctionnement le plus largement possible est vecteur de réussite.»
Et dans ces cas-là, ce sont les gens de l’ESO qui opèrent l’instrument ?
«L’ESO opère dans tous les cas. En tant que concepteur d’une partie du logiciel de MATISSE en fonction la nuit, mon rôle a été de former le personnel présent (en équipe de cinq ou six personnes) pour qu’ils puissent faire fonctionner l’instrument.»
Comment s’organise la vie dans cet environnement hors du commun ?
«La vie, je ne sais pas si on peut appeler cela « la vie » (rires). Nous sommes dans un environnement quasiment martien. Le désert d’Atacama est un désert de haute et moyenne altitude (2635 mètres). Il ne fait pas froid, la température oscille entre vingt et trente degrés dans la journée avec un air assez sec. Le Chili a d’ailleurs été choisi pour sa clarté de ciel et sa faible humidité (l’humidité peut déformer les ondes lumineuses). Au niveau de l’infrastructure, quoique très bien logés dans la singulière Residencia (bibliothèque, salle de sport à disposition, salle de musique, une belle cafétéria aux menus variés et une serre intérieure), nous restons isolés du reste du monde par la cadence de notre rythme de travail. Avec du recul le plus difficile est de se déconnecter de son travail. J’ai séjourné pratiquement cent soixante jours sur l’année 2018 au Mont Paranal. Travailler sur le site c’est adopter un quotidien très intense, presque monacal.»
Comment s’organisait ce rythme de travail ?
«Sur place les équipes suivent un rythme soutenu où l’on déconnecte rarement de nos recherches. Un protocole particulier existe pour les sorties : il est interdit de rester plus de quinze jours consécutifs dans la montagne. La plupart des astronomes restent dix jours sur la base puis ont sept jours de repos. Durant mes congés, j’en profite pour explorer les merveilles des alentours, les terres chiliennes révèlent des paysages fantastiques. Par la diversité singulière des climats, ces paysages sont un condensé de tous les éléments naturels. Le Chili s’étire démesurément du nord vers le sud, on y aperçoit des volcans, des minéraux aux couleurs spectaculaires comme des forêts et des lacs gelés. Le nord du pays bénéficie d'un climat désertique tempéré tandis que le sud baigne dans un climat polaire océanique fortement humide et frais. J’apprécie énormément ce pays.»
D’où vous vient cette passion pour l’astronomie ?
«On me pose très souvent cette question et je n’y vois toujours que cette réponse : lorsque j’étais enfant, j’avais peur du ciel.»
Qu’il tombe ?
«Non. De l’infini !»