Jupiter possède des bandes nuageuses qui tournent à des vitesses différentes. Depuis près de cinquante ans, l’un des problèmes majeurs en planétologie a été de savoir si ces bandes étaient ancrées en profondeur dans l’intérieur de la planète ou au contraire si elles étaient très minces, comme le jet stream dans l’atmosphère terrestre. L’analyse des données de la sonde NASA Juno a permis de résoudre ce mystère : En mesurant le champ de gravité de la planète cent fois plus précisément que ce qui avait été fait jusqu’à présent et en le comparant à des centaines de milliers de modèles d’intérieur de la planète, il a été possible de montrer que ces vents s’étendent à 3000 km de profondeur, et que plus profondément la planète est en rotation uniforme. Ces découvertes permettent de comprendre enfin la dynamique des planètes gazeuses. Elles vont aussi permettre d’analyser pleinement les mesures de la sonde Juno pour contraindre la composition de l’intérieur de la planète. Ces résultats sont présentés dans trois articles de l’édition du 8 mars de la revue Nature.
Grâce à leur précision exceptionnelle, les données de gravité de la sonde Juno permettent de détecter que le champ de gravité de Jupiter est asymétrique : l’attraction de la planète n’est pas la même dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud. Ceci est surprenant car Jupiter est une planète fluide : contrairement à la Terre il n’y a pas de surface, ni même d’océan. On s’attendrait à ce que la planète soit à l’équilibre et qu’il n’y ait aucune différence entre les deux hémisphère. Ce n’est pas le cas, comme le montre un premier article dont le premier auteur est Luciano Iess de l’Université Sapienza, Rome. Ceci est le premier signe que les vents de Jupiter sont suffisamment profonds pour modifier la gravité de la planète : en effet, les vents que l’on observe dans l’hémisphère nord sont différents de ceux de l’hémisphère sud.
Figure 1: Illustration montrant la circulation au niveau des nuages de Jupiter et dans l’intérieur de la planète. Dans l’atmosphère, on observe des zones et bandes qui ne tournent pas à la même vitesse (ici on soustrait la rotation moyenne de la planète et pour illustrer par des flèches la rotation différentielles de ces zones et bandes qui est de l’ordre de 100 m/s). Les résultats de la sonde Juno montrent qu’en profondeur, sur 3000km, on conserve les zones et bandes vues dans l’atmosphère tandis que plus profondément l’intérieur de la planète tourne à la même vitesse. Ceci s’explique par le fait que l’intérieur de Jupiter est ionisé et est donc forcé par le champ magnétique de la planète à tourner à la même vitesse tandis que ce n’est pas le cas plus près de l’atmosphère où les températures sont plus basses et le milieu est neutre.
L’analyse fine du champ de gravité de Jupiter permet de montrer que l’asymétrie nord-sud s’explique en effet si les vents que l’on observe dans l’atmosphère pénètrent à 3000 km en profondeur, une distance considérable (la masse d’atmosphère entrainée par ces vents est d’environ une fois la masse de la Terre). Cette analyse est présentée dans un deuxième article dont le premier auteur est Yohai Kaspi du Weizmann Institute of Science, Rehovot, Israël.
Enfin, en utilisant à la fois le champ gravitationnel de la planète et des centaines de milliers de modèles d’intérieur, on confirme indépendamment que les vents s’étendent à 3000 km de profondeur et on montre que plus profondément, la planète est en rotation uniforme. Ceci permet enfin de comprendre les mécanismes qui régissent la rotation à l’intérieur de la planète : sur les premiers 3000km depuis l’atmosphère, des zones et bandes tournent à des vitesses différentes en raison de phénomènes météorologiques. Plus profondément, la température et la pression augmentent, l’hydrogène s’ionise et est entrainé par le champ magnétique très intense de Jupiter. Du coup l’intérieur profond de la planète doit tourner à la même vitesse. Ces résultats sont présentés dans un troisième article dont le premier auteur est Tristan Guillot de l’Université Côte d’Azur, CNRS, Observatoire de la Côte d’Azur, Nice, France. Ils permettent de prédire que Saturne, qui est moins massive que Jupiter, doit avoir des vents beaucoup plus profonds, jusqu’à 9000km. Les exoplanètes massives et les naines brunes au contraire doivent avoir des vents qui pénètrent moins profondément.
Les articles de l’édition du 8 mars 2018 de Nature peuvent être trouvés en ligne aux adresses suivantes :
The measurement of Jupiter’s asymmetric gravity field (premier auteur: Luciano Iess).
Jupiter's atmospheric jet-streams extend thousands of kilometers deep (premier auteur: Yohai Kaspi).
A suppression of differential rotation in Jupiter’s deep interior (premier auteur: Tristan Guillot).
Cette recherche a été possible grâce au soutien du CNRS, du CNES, et de l’Observatoire de la Côte d’Azur. Les modèles d’intérieur de Jupiter ont été calculés sur le Mésocentre SIGAMM de l’Observatoire de la Côte d’Azur. La sonde Juno est pilotée par la NASA et dirigée par Scott Bolton (Southwest Research Institute à San Antonio, USA). Tristan Guillot est directeur de recherches CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur et co-Investigateur de la mission.
Contact
Tristan Guillot, tristan.guillot@oca.eu, +33 4 92 00 30 11