Les comètes composées de deux lobes, comme « Tchouri » visitée par la sonde Rosetta, sont le produit de la ré-accumulation de fragments générés lors de collisions destructrices entre deux comètes. Ces collisions pourraient aussi expliquer certaines des structures mystérieuses observées sur Tchouri. Cette découverte d’une équipe internationale coordonnée par Patrick Michel, chercheur CNRS au laboratoire Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université de Nice-Sophia Antipolis), sera publiée le 5 Mars 2018 dans Nature Astronomy.
Depuis Giotto visitant la comète de Halley en 1986, quelques sondes spatiales ont permis d’approcher plusieurs noyaux de comètes. Or, la majorité d’entre eux sont apparus allongés voire formés de deux lobes, comme la célèbre « Tchouri » observée de très près par la sonde Rosetta en 2014 et 2015. Les astronomes considèrent que cette forme étonnante s’explique par la jonction de deux anciennes comètes distinctes. Deux comètes forcément très peu denses et riches en éléments volatiles, donc évoluant très lentement, pour permettre un rapprochement en douceur et un contact qui ne les fasse pas exploser. Pour plusieurs raisons, il est supposé habituellement que ce type de rencontres en douceur ne se produit que dans les premières phases du Système solaire, il y a plus de 4 milliards d’années. Toutefois, un mystère demeure : comment des corps de la taille de Tchouri et aussi fragiles, nés il y a si longtemps, ont-ils pu survivre jusqu’à nous, alors qu’ils sont soumis constamment aux collisions dans les régions où ils évoluent ?
Une équipe internationale, comprenant notamment un chercheur français du laboratoire Lagrange, propose aujourd’hui un tout autre scénario, grâce à des simulations numériques en partie effectuées sur le Mésocentre Sigamm de l’Observatoire de la Côte d’Azur. Celles-ci ont montré que lors d’une collision destructrice entre deux comètes, seule une faible partie de la matière est pulvérisée à haute vitesse, réduite à l’état de poussières. Mais à l’opposé du point d’impact, les matériaux riches en éléments volatiles peuvent résister, et être éjectés à des vitesses relatives suffisamment faibles pour s’attirer et se ré-accumuler en formant de nombreux petits corps, qui s’agglutinent à leur tour pour n’en former qu’un seul. Un processus qui ne prend que quelques jours, voire quelques heures ! Et la comète ainsi produite préserve une faible densité et sa richesse en substances volatiles, comme Tchouri.
Image de l’étape finale d’une simulation de collision catastrophique de comètes effectuée par les auteurs,
montrant l’un des objets formés par réaccumulation des débris de la collision de forme identique à Tchouri.
© ESA/Rosetta/Navcam – CC BY-SA IGO 3.0
Image de la comète Tchouri prise par la sonde Rosetta
© ESA/Rosetta/Navcam – CC BY-SA IGO 3.0
Ce phénomène serait possible même lors d’impacts à la vitesse d’1 km/s, typique dans la ceinture de Kuiper, l’anneau de comètes situé au-delà de Neptune d’où provient Tchouri.
Ce type de collisions entre comètes se produisant régulièrement, alors Tchouri a pu naître à n’importe quel moment de l’histoire du Système solaire et pas forcément à ses débuts, comme cela semblait acquis, réglant le problème de sa survie pendant si longtemps.
Ce nouveau scénario permet également d’expliquer la présence de trous et de couches stratifiées observés sur Tchouri : ceux-ci se seraient bâtis naturellement lors du processus de ré-accumulation, ou plus tard après sa formation.
Enfin, lors de la collision à l’origine de ce type de comètes, puisqu’aucune compaction ni échauffement significatifs ne se produisent, la composition primordiale est préservée : ces nouvelles comètes demeurent bien des objets primitifs. Même si Tchouri s’est formée récemment, l’analyse de sa matière nous permet bel et bien de remonter aux origines du Système solaire.
Cette étude a bénéficié du soutien financier du CNES et des Académies 2 (Systèmes complexes) et 3 (Espace, environnement et risques) de l’Idex Jedi de l’Université Côte d’Azur.
Ressources
Bibliographie
Catastrophic disruptions as the origin of bilobate comets. Stephen R. Schwartz, Patrick Michel, Martin Jutzi, Simone Marchi, Yun Zhang and Derek C. Richardson. Nature Astronomy, le 5 Mars 2018.
DOI 10.1038/s41550-018-0395-2
Contacts
Chercheurs :
> Patrick Michel (CNRS) l T 04 92 00 30 55 – 06 88 21 28 33 l michelp@oca.eu
> Stephen Schwartz (Université d’Arizona) l srs@oca.eu
Presse
> Julien Guillaume (CNRS) l T 01 44 96 46 35 l julien.guillaume@cnrs-dir.fr
> Marc Fulconis (Observatoire de la Côte d'Azur) l T 04 92 00 19 70 l marc.fulconis@oca.eu