Grâce au radiotélescope Low Frequency Array (LOFAR), une équipe internationale impliquant des astronomes de l’Observatoire de Paris - PSL, du CNRS de la Station de radioastronomie à Nançay, de l’Université d’Orléans et de Starsbourg et de l’Observatoire de la Côte d’Azur publie le premier volet d’une immense carte du ciel de l’Univers distant. Elle révèle des centaines de milliers de galaxies jusqu’ici inconnues et apporte un éclairage nouveau sur des domaines de recherche tels que la physique des trous noirs et l’évolution des amas de galaxies. Un ensemble de 26 articles consacrés à ces premiers résultats paraissent le 19 février 2019 dans un numéro spécial de la revue Astronomy & Astrophysics.
Le radiotélescope LOFAR
Les radiotélescopes observent de la lumière de très basse énergie, invisible à l’œil humain et à tout télescope optique. LOFAR est l’un des plus grands radiotélescopes du monde. Il a la particularité d’opérer à très basses fréquences (entre 10 et 250 mégahertz) dans un domaine d’énergie essentiellement inexploré.
Il consiste en un réseau de cent mille antennes réparties en Europe, et est exploité par ASTRON aux Pays-Bas.
LOFAR est un réseau européen de 100 000 antennes réparties en Europe dans 50 stations d’observation connectées entre elles par le réseau haut débit.
Il est exploité par ASTRON aux Pays-Bas. ©ASTRON
La partie française du réseau est implantée à Nançay, dans le Cher, au sein de la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris (Observatoire de Paris - PSL / CNRS / Université d’Orléans).
La partie française de LOFAR est implantée à Nançay, dans le Cher, au sein de la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris.
© Observatoire de Paris – PSL / USN
LOFAR génère des quantités de données faramineuses. Faire une image en utilisant ce réseau d’antennes consiste à inverser un immense système composé de milliards d’équations. L’Observatoire de Paris a joué un rôle déterminant pour rendre possible l’exploitation des données de LOFAR.
Relevé LoTSS
Dans cette première carte du ciel radio délivrée par LOFAR (baptisée "relevé LoTSS"), seulement 2,5% de l’hémisphère nord sont rendus publics. Cette portion contient déjà plus de trois cent mille objets astrophysiques détectés : 90% d’entre eux étaient jusqu’ici inconnus.
Ces sources de rayonnement radio sont si distantes que leur lumière a voyagé des milliards d’années avant d’atteindre les antennes de LOFAR.
La galaxie spirale M106 vue ici dans une image optique (issue du "Sloan Digital Sky Survey") superposée avec les émissions radio LOFAR (en jaune orangé). Les structures radio brillantes au centre de la galaxie ne sont pas de véritables bras spiraux, mais seraient le résultat de l’activité du trou noir supermassif central de la galaxie. © Cyril Tasse, Observatoire de Paris - PSL et l'équipe survey LOFAR
Le rayonnement radio de basse énergie est émis par des particules chargées ultra-énergétiques qui sont freinées par la présence de champs magnétiques. En conséquence, une très grande majorité de cette lumière est émise par des processus énergétiques et parfois violents.
Trous noirs supermassifs
La question de l’origine des trous noirs supermassifs, présents au cœur de chaque galaxie, et dont la masse peut atteindre des milliards de masses solaires, reste une énigme. Quand la matière est aspirée par un trou noir supermassif, des jets de particules chargées et très énergétiques se forment et perturbent le milieu environnant la galaxie. Des ondes radio sont alors émises. L’observation radio de ces objets permet in fine d’étudier les processus de croissance des trous noirs supermassifs, et leur rôle dans la formation des galaxies.
Galaxie abritant un noyau actif en son centre. LOFAR permet d’étudier comment les trous noir injectent de grandes quantités d’énergie dans le milieux extragalactique. Ici, image d’une galaxie dont le trou noir central est actif et qui, dans son déplacement, laisse ses jets derrière elle, à la manière d’une étoile filante (on parle alors d’une radiogalaxie de type "tête-queue"). © Cyril Tasse, Observatoire de Paris - PSL et l'équipe survey LOFAR
LOFAR dévoile par exemple que les trous noirs supermassifs associés aux galaxies les plus massives sont toujours actifs, et que de la matière tombe sans cesse en leur intérieur depuis des milliards d’années. Ces images produites par LOFAR permettent également d’étudier comment les trous-noirs bouleversent périodiquement la dynamique du milieu intergalactique.
Image LOFAR d’une galaxie radio superposée sur une image optique du ciel (issue du "Sloan Digital Sky Survey").
Lorsque de la matière chute dans le trou noir supermassif présent au centre de la galaxie,
des particules sont accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière pour former des jets émetteurs d’ondes radio.
© Cyril Tasse, Observatoire de Paris - PSL et l'équipe survey LOFAR
Amas de galaxies
Nous savons depuis quelques années que les ondes de choc créées par les gigantesques mouvements du gaz du milieu intergalactique peuvent accélérer des particules jusqu’aux très hautes énergies nécessaire à l’émission d’ondes radio. En particulier, les amas de galaxies (qui contiennent des centaines ou des milliers de galaxies) en entrant en collision, génèrent des émissions radio qui peuvent s’étendre sur des millions d’années-lumière. Ces émissions sont observées en abondance avec LOFAR, et constituent un moyen unique d’étude de la dynamique de la structure à grande échelle de l’Univers.
Un amas de galaxies vu par LOFAR. Cette image est extrêmement complexe à interpréter et montre toute la puissance de LOFAR. Des émissions diffuses sont associées aux immenses mouvements de la structure à grande échelle, alors que les jets des noyaux actifs de galaxies perturbent leurs environnements. On peut également voir sur la gauche une galaxie active de type "tête-queue" qui est possiblement éjecté de l’amas. © Cyril Tasse, Observatoire de Paris - PSL et l'équipe survey LOFAR
Prochaines étapes
LOFAR ouvre une nouvelle fenêtre observationnelle sur l’Univers lointain.
Les travaux des 26 articles publiés dans le numéro spécial de la revue Astronomy & Astrophysics portent sur seulement les deux premiers pourcents de la carte du ciel. Outre les découvertes scientifiques inédites extraites de ces premières données, la nouveauté consiste en la richesse de ces images. Elles contiennent de nouveaux objets astrophysiques dont la nature reste pour l’heure difficile à comprendre.
De multiples découvertes scientifiques sont attendues. L’équipe a pour objectif de créer des images sensibles et à haute résolution de l’ensemble du ciel de l’hémisphère nord, qui révéleront au total 15 millions de sources radio.
Quelques années seront nécessaires pour exploiter pleinement les 48 pétaoctets de données au total, soit l’équivalent d’une pile de DVD d’une hauteur de presque 40 tours Eiffel.
L’image finale devrait être obtenue à l’horizon 2024. Ce domaine d’énergie étant essentiellement inexploré, l’impact scientifique de ce grand relevé reste difficile à mesurer.
Collaborations
Au sein du projet international LOFAR, de nombreux laboratoires et instituts français sont impliqués dont l’Observatoire de Paris et la Station de radioastronomie à Nançay, l’Université d’Orléans, l’Université Côte d’Azur, l’Université de Strasbourg et le CNRS-INSU.
Ces résultats donnent un avant-goût du projet international de radioastronomie basse fréquence Square Kilometer Array (SKA) fortement soutenu par les astronomes français. La construction de SKA dans l’hémisphère Sud doit démarrer en 2020. Les astronomes français en ont construit un éclaireur sur la station de radioastronomie de Nançay, NenuFAR (New Extension in Nançay Upgrading LOFAR), qui avec LOFAR prépare la communauté astronomique française à l’exploitation de SKA.