Jean Kovalevsky, astronome émérite à l'Observatoire de la Côte d'Azur, était une figure de l’astronomie française et un spécialiste reconnu au niveau mondial de la mécanique céleste, de la géodésie spatiale et de l'astrométrie. Cet ancien président de la Société Astronomique de France et créateur de la commission des cadrans solaires, est décédé le 17 août 2018. François Barlier et François Mignard lui rendent hommage.
Jean Kovalevsky est né près de Paris en 1929 de parents émigrés russes et a reçu sa première éducation en français et en russe, une langue qu'il chérissait et a continué à pratiquer toute sa vie. Après de brillantes études secondaires il est admis à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm dans la filière mathématique. Après l'agrégation, il devient rapidement assistant astronome à l'Observatoire de Paris sous l'impulsion d’André Danjon soucieux de renforcer le secteur de l’astronomie fondamentale à une époque où les jeunes astronomes se tournaient plutôt vers l’astrophysique. Alors qu'il terminait son doctorat sur le mouvement d'un satellite lointain de Jupiter sous la direction de D. Brouwer à l'Université de Yale, le lancement de Spoutik I en octobre 1957 nous a propulsé brusquement dans l'ère spatiale. Jean Kovalesky fut l'un des premiers à donner des cours sur la dynamique détaillée et très complexe des satellites artificiels. Cela se traduira quelques années plus tard par la publication chez Armand Colin de l'ouvrage « Introduction à la mécanique céleste » qui demeure encore une des meilleures monographies de base sur le sujet. Il organisa des séminaires hebdomadaires au Bureau des longitudes autour de la mécanique du Système solaire, mais aussi des thèmes nouveaux de la géodésie spatiale et de la mécanique spatiale, séminaires suivis par un public très varié. Ce fut un superbe creuset d’idées et de projets. Jean Kovalevsky fut alors naturellement le Principal Investigateur (PI) du premier satellite géodésique français, le satellite Diapason D1 A, lancé depuis Hammaguir avec le nouveau lanceur français Diadème. Il fut ensuite le premier directeur d'un groupe de recherches en géodésie spatiale fondé sur un simple accord signé lors de la séance du Bureau des longitudes du 17 février 1971 entre les présidents et les directeurs de quatre instituts de recherche fondamentale, l’Observatoire de Paris, l’institut géographique national, le CNES et le Bureau des longitudes. Ce GRGS (Groupe de recherches de géodésie spatiale) existe toujours mais s’est beaucoup développé incluant de nouveaux organismes au fil des ans.
Sur le plan de la Mécanique céleste proprement dit, Jean Kovalevsky fonde le «Service des calculs et de mécanique céleste» du Bureau des longitudes qui deviendra l’IMCCE plus tard où, entouré de jeunes chercheurs talentueux, il produit de nouvelles théories planétaires et lunaires analytiques faisant appel à la manipulation algébrique sur ordinateur. Ces théories sont toujours mises à jour et restent sans concurrence dans cette catégorie des théories analytiques. La version purement numérique, INPOP, utilisée aujourd'hui pour le calcul des éphémérides et pour la mission Gaia est l'héritière directe de cette école.
À la fin des années soixante, en vue de l’établissement du septième plan de développement de la recherche en astronomie et en particulier de l’astrométrie, des discussions importantes se concentrent autour de la construction d’un nouvel observatoire astrométrique combinant les techniques classiques de l’astronomie de position avec l’automatisation de l’astrolabe, l’apport des nouvelles technologies de mesures de distance fondées sur le laser (laser satellite, laser-Lune) et de la métrologie du temps. Finalement une décision est prise d’installer ce nouvel observatoire près de Grasse sur le plateau de Calern. L’accord de Jean Kovalevsky de venir dans le sud animer et diriger ce nouvel observatoire fut l’élément décisif pour les décideurs de l’époque pour créer le CERGA, (Centre de recherches géodynamiques et astronomiques). Il s’agissait au départ d’un service commun inter-universitaire réunissant les observatoires de Paris, Strasbourg, Besançon, Bordeaux, Nice. Il en sera le directeur de 1974 à 1982. Très vite Jean Kovalevsky adjoint au projet initial de nouvelles équipes et d’autres instruments en accueillant l’interférométrie infra-rouge et optique et les mesures à haute résolution angulaire, une marque supplémentaire de son ouverture d’esprit vis-à vis-de techniques encore en devenir.
À la même époque, octobre 1974, Jean Kovalevsky initie et préside une réunion décisive à Frascati (Italie) afin de rassembler une communauté internationale autour de l'astrométrie spatiale et transformer ce qui n'était alors qu'une idée française en une mission spatiale européenne. Après plusieurs années d'évaluations techniques et d'un long processus de lobbying, un petit miracle a lieu lorsque l'ESA sélectionne Hipparcos dans son programme scientifique en 1980. Jean Kovalevsky a agi sans relâche dans les comités et en coulisses pour surmonter le scepticisme des délégués des différents États et a largement sa part dans ce succès exceptionnel. En 1982, il quitte son poste de directeur du CERGA pour se consacrer à plein temps à Hipparcos. Il forme, puis dirige, le consortium européen FAST dédié aux traitements des données de cette mission, un défi à sa hauteur avec les moyens informatiques de l'époque.
En dépit d'un lancement catastrophique, la mission d'Hipparcos a été une réussite retentissante qui a ouvert une voie fondamentalement nouvelle pour l'astrométrie. Cela a clairement permis d'envisager une mission beaucoup plus ambitieuse et conduit à Gaia et sa moisson exceptionnelle toujours en cours. Jean a suivi de près la préparation de Gaia et a été membre du groupe de travail "Relativité et Systèmes de Référence". Il a assisté, malgré sa santé déclinante, en avril 2017, au Symposium IAU-330 à Nice consacré aux premiers résultats scientifiques de la mission. Il était un fervent admirateur de cette mission et lors d'une récente interview dans un magazine scientifique, il a déclaré à propos de Gaia: "J'ai l'espoir d'une énorme récolte de données précieuses". Heureusement, il a pu en voir la confirmation avec la deuxième livraison des résultats de Gaia quelques mois plus tard.
Après Hipparcos, il a écrit avec K. Seidelmann l'ouvrage "Fundamentals of Astrometry" et mit ses vastes connaissances scientifiques et son intérêt pour la mesure en général au service de la métrologie comme membre puis comme président du Comité international des poids et mesures (CIPM) de 1997 à 2004. Il a participé au développement de la métrologie au niveau national et soutenu le laboratoire de métrologie et d’essais, le LNE. À ce poste, son prestige international et ses compétences en négociation ont été très utiles pour mener à terme des discussions, souvent délicates, entre les états participants au Bureau international des poids et mesures.
Jean Kovalevsky était, entre autres, membre du Bureau des longitudes, membre de l'Académie des sciences, membre de l’Union astronomique internationale (deux fois président de commissions et une fois de division), titulaire de la chaire Chanoine Lemaître à Louvain en Belgique (1972-1973).
Il a eu de nombreuses distinctions tant en France qu'à l'étranger : Chevalier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre national du mérite, Officier des palmes académiques, Grand’Croix de l’Ordre du Mérite scientifique du Brésil.
Jean Kovalevsky restera un modèle à suivre, pour nous tous et les générations futures d’astronomes, professionnels ou amateurs.
François Barlier et François Mignard
OCA - Observatoire de la Côte d’Azur