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« Raphaël Bischoffsheim et « son » observatoire, de son vivant et d'aujourd'hui »

Cet article retrace, en quelques lignes et illustrations, les moments importants de la vie de Raphaël Bischoffsheim (1823-1906), député des Alpes-Maritimes, mécène et fondateur de l'Observatoire de Nice.

 NiceArtistique Bischoffsheim

Représentation de Raphaël Bischoffsheim et de son projet d'observatoire. Crédit : Arch. dép. des Alpes-Maritimes, PR 568.
Reproduction 6 PH 1717 (revue « Nice-Artistique », gravure G. Courtot)

Les origines

Elles sont importantes à souligner car la fortune de Raphaël Bischoffsheim et donc sa vocation de mécène proviennent essentiellement de celles de son père né en 1800 à Mayence et fils de Raphaël Nathan. Ce dernier est donc son grand-père qui est né en 1773, vraisemblablement à Bischofsheim oder Tauber (aujourd’hui appelée Tauberbischofsheim), une petite bourgade au sud de Wurzburg où vit une petite communauté de Juifs. Son nom hébreu sera changé en Bischoffsheim (la lettre f est doublée). Il a une quinzaine d’années lorsque la Révolution française éclate. Celle-ci a une conséquence majeure pour tous les citoyens non catholiques, en particulier les Juifs, et donc ultérieurement pour Raphaël Nathan.

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Carte des alentours de Mayence (Mainz).  Crédit : OpenStreetMap

À partir de 1792, Mayence est l’objet d’une lutte entre Français et Prussiens avant le retour des Français et le 4 novembre 1797 le Directoire crée le département du Mont-Tonnerre, avec Mayence comme chef-lieu. Ce département est officiellement intégré au territoire français le 9 mars 1801. De nombreux Juifs se dirigent vers Mayence pour jouir de cette liberté de pratiquer leur religion. Raphaël Nathan fait partie de ceux-là, prend le nom de Bischoffsheim et commence une carrière florissante de fournisseur des armées du Rhin. La déroute de Napoléon a comme conséquence la prolifération du Typhus de Mayence véhiculé par les soldats. Cette épidémie tue 2500 habitants dont Raphaël Nathan, le 22 janvier 1814.

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Les soldats français décimés par le Typhus à Mayence, gravure d'Auguste Raffet (1804-1860)

Malgré la disette, les Français tinrent la ville encore presque six mois jusqu'à la signature du traité de Paris : ils évacuèrent alors Mayence (4 mai 1814). Louis Raphaël naît en 1800. Il échappe au Typhus car il est envoyé par son père travailler à la banque Goldschmidt dont il épouse la fille du propriétaire. Le couple s’installe à Amsterdam où il crée sa propre banque et le 22 juillet 1823, son premier enfant naît avec, comme prénoms, Raphaël Louis. Après sa première scolarité il intègre l’École Centrale à Paris à 16 ans en 1839 accompagné de son tuteur Joseph Derenbourg. Il n’obtient pas le diplôme d’Ingénieur mais peut se targuer du titre d’Ancien élève de l’École Centrale. Il est employé ensuite par une compagnie de chemins de fer du Haut Adige au nord de l’Italie.

De retour à Paris en 1852, il seconde son père dans les affaires bancaires et surtout dans la création avec les frères Pereyre de la Compagnie des chemins de fer du Midi. (Nota bene : cette compagnie a pour tête de pont Bordeaux et dessert le Sud-Ouest de la France. Il n’y a donc, comme on le lit souvent, aucune relation de cause à effet avec la création de son observatoire à Nice). Pendant une vingtaine d’années il mène en parallèle une vie mondaine relatée dans les « gazettes people » de l’époque. 1870 marque un tournant dans sa vie, en particulier par son engagement dans la guerre contre la Prusse et la mort de son père en 1873.

Par ailleurs, ses rencontres avec Maurice Loewy et les plus grandes autorités des institutions de l’astronomie française (le Bureau des Longitudes et l’Observatoire de Paris) nourrissent sa vocation de mécène. Celle-ci se concrétise par l’achat du cercle Eichens de l’Observatoire de Paris. Cet achat du meilleur instrument de l’époque est déjà précurseur de la recherche d’excellence qui marquera toute sa vie de mécène. Il contribua à de nombreux projet comme par exemple :

  • L’Observatoire du Pic du Midi de Bigorre
  • Le premier modèle de réfracteur coudé de l’Observatoire de Paris
  • Le Grand cercle Méridien de l’observatoire de Lyon
  • La station météo du Mont-Ventoux

Né à Amsterdam, il ne devint français que le 24 avril 1880 par lettres de grande naturalisation délivrées « pour services rendus au pays ». Il est élu membre libre de l’Académie des Sciences en 1890. (Revue générale des industries françaises et étrangères, juin 1806).
Raphaël Bischoffsheim se lance dans une carrière de député dont la période la plus florissante s'étend de 1893 à 1906.  Mais avec l’observatoire de Nice, Bischoffsheim est bien plus qu’un mécène.

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Photo de Charles Garnier prise par Antoine Samuel Adam-Salomon

Pour ce projet qu’il nourrit pendant de nombreuses années et qu’il peaufine avec son ami Charles Garnier, reconnu universellement pour la construction des opéras de Paris et de Monte-Carlo, il ne s’agit plus d’un acte de mécénat stricto sensu. Il ne se contente pas d’une mise de fonds, d’ailleurs considérable, mais guerroie avec les autorités citées plus haut pour faire adouber son projet. Il en suit la réalisation dès le début par le choix de Joseph Perrotin comme premier directeur de l’Observatoire de Nice, puis sa construction en se rendant fréquemment sur le chantier rencontrer Charles Garnier et les entrepreneurs.

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À proximité du chantier d'un des bâtiments de l'Observatoire, réunion d'un groupe de personnes. On y voit Raphaël Bischoffsheim (3e à partir de la gauche) assis près de Charles Garnier (2e à partir de la gauche).
Crédit : Archives SCP © Observatoire de la Côte d'Azur

Sur le fronton de la porte principale de la Grande coupole, il fait figurer en lettres d’or une inscription latine soulignant qu’il a fondé et financé l’observatoire. Celle-ci est magnifiée par la somptueuse statue dorée d’Apollon surgissant du zodiaque.
Une considérable relation épistolaire débute avec Perrotin, autant pour régler la vie quotidienne dans ses moindres détails (l’augmentation du salaire du jardinier par exemple) que pour des choix scientifiques et techniques décisifs : réseau des horloges synchronisées d’Alfred Cornu ou les progrès des travaux de Louis Thollon sur l’étude du spectre du Soleil.
Ces missives parfois très brèves qui proviennent régulièrement de Paris, mais aussi de ses lieux de villégiatures (Aix Les bains, Baden-Baden, Londres, Innsbruck, Bruxelles, etc) montrent que « son » observatoire est une préoccupation quotidienne.

04Mars1880

Courrier signé de la main de Raphaël Bischoffsheim. Crédit : Archives SCP © Observatoire de la Côte d'Azur

Plus encore que ses lettres manuscrites conservées dans les archives de l’Observatoire de la Côte d’Azur, une preuve flagrante et frappante de cet attachement viscéral se trouve sous la Grande coupole :

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La passerelle mobile conçue par Raphaël Bischoffsheim à la Grande Coupole.  Crédit : Observatoire de la Côte d'Azur.

Soucieux de soulager le travail des observateurs, il imagine une passerelle roulante d’observation. Celle-ci sera réalisée dans les ateliers de Gustave Eiffel, le troisième illustre contributeur de cette éblouissante aventure de la Science française. Après la coupole et la lunette, c’est l’objet qui frappe immédiatement l’œil du visiteur. C’est la signature tangible du créateur de ce monumental observatoire. A l’occasion du 200e anniversaire de la naissance de son fondateur, et après plus de 140 ans d’existence, ce que l’on appelle aujourd’hui l’Observatoire de la Côte d’Azur, légué à la Sorbonne puis devenu un établissement public, est la preuve que cette réalisation a apporté à l’astronomie française une réputation internationale. Aujourd’hui, cette notoriété s’affiche très régulièrement dans les médias et réseaux sociaux pour commenter l’actualité astronomique ou présenter les réalisations de l’OCA.

Dans la continuité de la volonté de son mécène fondateur, et grâce à l’impulsion donnée par Jean-Claude Pecker dont on célèbre le 10 mai le 100e anniversaire, l’Observatoire de la Côte d’Azur poursuit aujourd’hui les grands travaux scientifiques. Si l’heure est moins à la rivalité entre pays mais plus à une coopération internationale, l’établissement fait toujours rayonner la science française sur le monde en apportant moult pierres aux édifices astronomiques, astrophysiques et géologiques. Ainsi, Raphaël Bischoffsheim, en amateur d’astronomie qu’il était, serait aujourd’hui heureux d’apprendre que l’Observatoire fait équipe avec de prestigieux instituts mondiaux comme les agences américaine (NASA), européenne (ESA) et japonaise (JAXA). Son implication dans l’astronomie de position est toujours présente et toujours aussi précise, avec notamment une participation importante à la mission européenne Gaia.  À cela s’ajoute le rôle de pionniers occupé par nos chercheur(e)s au cours des dernières années. Citons entre autres les travaux d’Antoine Labeyrie sur l’interférométrie, récemment concrétisés par la réalisation d’instruments comme MATISSE ou GRAVITY+ à destination du Very Large Telescope de l’Observatoire Européen Austral (ESO) ; ou encore le co-contrôle et l’exploitation des résultats du détecteur d’ondes gravitationnelles Virgo, non loin de la ville italienne de Pise.

`MATISSE (Multi-AperTure mid-Infrared SpectroScopic Experiment) in the lab at the Observatoire de la Côote d’Azur in France, where it underwent a suite of initial tests before being transported to Chile for integration into the Very Large Telescope Interferometer (VLTI) at ESO’s Paranal Observatory. This instrument will offer unique and fascinating observational capabilities. Its high-resolution observations will contribute to answering several fundamental astrophysical questions and will surely lead to unexpected discoveries.

L’instrument MATISSE Crédit: MATISSE Project/Y. Bresson

La science sur le Mont-Gros s’étendait autrefois aux phénomènes terrestres tels que le champ magnétique de notre planète ou la météorologie. Ces activités ont laissé place à l’étude d’une catastrophe naturelle critique : les tremblements de terre, et la difficulté de les prédire, à l’instar de la secousse de 1887 en Ligurie. Si notre mécène n’était pas sur les lieux lorsque ce séisme est survenu, sa villa à Bordighera a fait partie des bâtiments endommagés et – pire encore – l’estimé Louis Pasteur qui y séjournait alors avec sa famille a failli s’ajouter aux trop nombreuses victimes de l’incident. Aussi notre fondateur serait rassuré de constater qu’aujourd’hui, l’Observatoire de la Côte d’Azur est un acteur majeur dans la compréhension des séismes et dans le développement (en bonne voie) de technologies destinées à les prédire.

Dominique Schraen, Robin Osstyn, Luc Poirier, Clémence Durst

Sources

Source principale : Archives historiques de l'Observatoire de la Côte d'Azur

Autres sources :

  • Juden in Mainz. Katalog zur Ausstellung der Stadt Mainz – Novembre 1978.
  • Les Riviera de Charles Garnier et de Gustave Eiffel, de rêve et de raison (édition Imbernon).
  • Le Panthéon de l’industrie, n° 462, 24 février 1884.
  • Michel Fulconis, Raphaël Louis Bischoffsheim. Le mécène, Saint-Laurent-du-Var, Éditions Regards sur le Monde, 2003.