Simone Mastrogiovanni, est membre d'Artemis et a coordonné l'écriture d'un des articles publiés ce jour, celui qui décrit la nouvelle mesure de la vitesse d'expansion de l'Univers à l'aide des données du nouveau catalogue.Nous avons rencontré Simone Mastrogiovanni pour lui demander de nous parler de cette publication à laquelle il a consacré plusieurs mois.
Simone Mastrogiovanni : « la rédaction de l'article qui paraît aujourd'hui sur la mesure de l'expansion de l'Univers a été assez longue, elle a pris environ 10 mois. Cela n'a pas été très facile. Tout d'abord la rédaction a été confiée à une équipe de 6 scientifiques provenant d'institutions françaises (APC-OCA, moi) espagnoles (IFAE : Institut de Física d'Altes Energies), britanniques (Université de Glasgow), néerlandaises (Gravitation et Physique des Astroparticules à l'Université d'Amsterdam) et américaines (Massachusetts Institute of Technology et Northwestern University). Pendant ces 10 mois nous avons échangé par email, en disposant d'outils collaboratifs pour la rédaction.
Représentation schématique de l'expansion cosmique, dans laquelle les galaxies s'éloigent les unes des autres
(Crédit : Eugenio Bianchi, Carlo Rovelli & Rocky Kolb)
Mais avant de pouvoir écrire, nous avons dû bien comprendre le potentiel scientifique des données, en interagissant avec les scientifiques de la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA impliqués dans l'analyse. Le travail d'écriture a commencé dès les premiers résultats obtenus, et il s'est développé en parallèle et en même temps que les résultats étaient affinés, jusqu'aux résultats finals. Ceci s'est accompagné également de plusieurs présentations du travail en cours devant toute la collaboration.
Ensuite, une fois écrite une première version de l'article, nous l'avons soumise à la critique de tous les membres de la collaboration. Au moins 30 scientifiques sont intervenus pour modifier/améliorer le texte, demander des précisions, faire des suggestions etc Nous avons tenu compte de toutes leurs remarques, ou expliqué pourquoi nous ne le faisions pas en justifiant nos choix.
Enfin est venu le processus de validation par la collaboration du papier sous sa forme finale, validation effectuée par un groupe de spécialistes du sujet, appartenant à la collaboration mais n'ayant pas participé à l'analyse des données.
Une fois ceci effectué, nous avons eu le feu vert pour publier, et l'article a été déposé sur le site ArXiv, vendredi dernier. »
Est ce que cet article a été particulièrement long à écrire ?
« Cette durée de 10 mois est typique d'un travail de la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA. La raison en est que nous disposons d'un grand nombre d'événements observés, près d'une centaine en tout, et que nous avons dû attendre que tous soient bien compris. De plus, un article de collaboration passe par plusieurs étapes qui doivent être validées, et techniquement cela demande du temps. »
Figure 8 de notre publication). Posterior probability distributions for the Hubble constant (H0) corresponding to different analyses. Each probability distribution is a curve representing our best guess for the value of H0 after carrying out our analysis. The solid black line plots the result using only the BNS event GW170817 and its electromagnetic counterpart. The dotted blue line shows the result of our analysis without using any galaxy catalog information. In solid orange and dashed green, we plot the results of analyses that consider the galaxy catalogue with and without the also including the BNS event respectively. (Note that the K-band galaxy catalog is used, which collates galaxy data for a particular range of wavelengths centred in the infrared). Finally, the two vertical bands (magenta and dark green) show the constraints on H0 obtained from the CMB (Planck) and Supernovae + Cepheids (SH0ES) respectively.
Et qu'apporte le nouveau résultat ?
« Il faut dire d'abord que notre résultat est assez robuste, car nous avons analysé les données de deux façons différentes, et les deux donnent des résultats tout à fait cohérents. L'un se sert uniquement de nos données, l'autre utilise un catalogue de galaxies. Ces deux méthodes ont certainement des biais, surtout la deuxième. Nous avons essayé de les minimiser. Le résultat est visible sur la figure ci-dessus. Nos résultats correspondant à différents cas sont indiqués par les différentes courbes.
Il semble que notre résultat soit plutôt d'accord avec les mesures effectuées par Planck avec le fond cosmologique micro onde (CMB). Mais les incertitudes sont encore assez grandes, et en fait ils sont compatibles avec les deux mesures actuellement les plus précises CMB et Supernovae Ia/Cépheides. Un plus grand nombre de détection de sources bianires d'objets compactes nous permettra de réduire les incertitudes sur notre mesure de la constante de Hubble. »
Tout ceci est expliqué avec plus de détails, ci-dessous.
Contacts
Simone.mastrogiovanni@oca.eu, nelson.christensen@oca.eu
communication Artemis : gilles.bogaert@oca.eu, marieanne.bizouard@oca.eu
Résumé scientifique de l'article
Il est possible de se servir des mesures des masses des trous noirs détectés grâce aux ondes gravitationnelles pour mesurer la vitesse d'expansion de l'univers. Plus précisément, elles permettent de mesurer la constante de Hubble (notée H0), qui est le paramètre caractérisant cette expansion.
Les ondes gravitationnelles fournissent ainsi une nouvelle méthode pour mesurer cette constante, une nouvelle méthode indépendante des deux déjà existantes. qui sont en désaccord entre elles. En effet celles-ci donnent le même ordre de grandeur, mais leurs derniers résultats font apparaître un désaccord, dont la cause n'est pas comprise. Avoir une troisième méthode, basée sur une méthode différente, est donc très précieux.
Il est paradoxal que cette mesure soit possible, puisque que, pour les fusions de trous noirs observées, aucun signal lumineux n'est visible, qui permettrait de localiser le site de la source et sa vitesse d'éloignement. Mais il faut savoir que la distribution des masses des trous noirs comporte un pic à une masse donnée, à cause du processus même de formation de ces trous noirs. La cause en est que les trous noirs formés lors des explosions d'étoiles ont une masse maximale, puisque les étoiles les plus massives explosent en disloquant l'ensemble de l'étoile, (à cause d'un phénomène appelé Supernova par instabilité de paires) sans laisser aucun astre derrière elles. D'autre part les masses des trous noirs que nous mesurons sont affectées par leur décalage vers le rouge, dû au mouvement général d'expansion cosmique. On peut s'attendre à ce que la distribution observée de ces masses porte la trace de ce pic, mais décalée par la vitesse d'expansion, ce qui nous donne l'information sur celle-ci. En combinant cette information avec leurs distances, que les ondes gravitationnelles fournissent pour chaque événement, nous pouvons déduire la vitesse d'expansion de l'Univers.
Nous avons aussi mis en œuvre une autre méthode, statistique, de mesure de H0, qui utilise le catalogue de galaxies GLADE+. Ce catalogue recense les décalages vers le rouge de millions de galaxies. On peut associer, avec des probabilités plus ou moins élevées, ces galaxies aux sources de nos ondes gravitationnelles, et on peut aboutir de cette façon à une valeur de la constante de Hubble.
Nous avons utilisé ces deux approches dans la publication, en utilisant les sources du catalogue GWTC-3.
C'était la première fois que la méthode basée sur la population de trous noirs était utilisée pour contraindre non seulement la constante de Hubble, mais aussi les paramètres qui contrôlent l'expansion, à savoir les contributions de matière noire, et d'énergie noire, formant ce qui est appelé le ‘Modèle Standard’ de la cosmologie (souvent dénommé ‘Lambda CDM’). Cependant, notre catalogue GWTC-3 ne contient pas de sources très éloignées, permettant d'observer clairement les effets des énergie et matière noires. La méthode donnera des résultats plus précis avec l'augmentation de la sensibilité des antennes.
Les résultats concernant la constante de Hubble apportent une information plus intéressante. La Figure 2 montre les contraintes combinées obtenues sur H0 ; on voit que, avec seulement notre modèle de population, nos données favorisent une valeur de H0 basse. Lorsque l'on combine les contraintes de population et la mesure directe de H0 obtenue avec GW170817 et sa contrepartie optique, on estime H0 à 68+13-7 km s-1 Mpc-1, ce qui représente une amélioration de 13% sur notre résultat précédent qui utilisait les fusions de trous noirs de notre premier catalogue GWTC-1.
Avec la seconde méthode, qui utilise le catalogue de galaxies GLADE+, il nous faut d'abord modéliser la distribution des masses de notre population (à l'aide d'une gaussienne et d'une loi de puissance ) et trouver celui qui fournit le meilleur ajustement à la population de trous noirs observée. En combinant les informations de GLADE+ on estime une valeur de H0 = 68+8-6 km s-1 Mpc-1, ce qui représente une amélioration de 41% par rapport à notre estimation précédente basée sur notre premier catalogue GWTC-1. Ce résultat est montré sur la Figure 3. On peut voir que notre valeur de la constante de Hubble obtenue avec GLADE+ est en accord à la fois avec celle obtenue par l'étude du bruit de fond cosmologique (CMB) et celle de l'étude des supernovae type 1a plus Céphéides (bandes verticales magenta et vertes respectivement), et donc qu'elle n'est pas encore assez précise pour aider à résoudre la tension existante entre ces deux mesures.
L'avenir des ondes gravitationnelles pour la cosmologie
Notre résultat apporte de nouvelles contraintes sur la valeur de la constante de Hubble. Cependant nous devons reconnaître qu'elles dépendent en partie de la façon dont on modélise la population réelle des trous noirs. Dans le cas de la méthode utilisant le catalogue de Galaxies, les résultats sont fortement affectés par les hypothèses que nous devons faire pour cette modélisation. Un seul événement pour l'instant permet de s'affranchir de cette modélisation, GW190814, parce qu'il a pu être précisément localisé dans le ciel. Le bon accord entre celui-ci et les résultats de GLADE+ apportent cependant déjà des informations utiles sur la constante de Hubble.
Dans les années à venir, LIGO et Virgo vont bénéficier de plusieurs améliorations qui augmenteront leur sensibilité. Il vont aussi être rejoints par KAGRA (dès le run O4 dont le début est prévu fin 2022) , puis plus tard dans cette décennie, par LIGO India. Ce réseau de détecteurs est supposé détecter un nombre bien supérieur de signaux brillants ou sombres, avec une meilleure localisation. Les contraintes sur la constante de Hubble obtenues avec les catalogues de galaxies vont s'en trouver améliorées, en particulier si nous incluons dans nos analyses des catalogues de galaxies plus complets à des décalages vers le rouge plus grands.
Ces taux de détection plus élevés de binaires de trous noirs profiteront aussi aux résultats de la méthode exclusivement basée sur la population de trous noirs. D'ici quelques années nous serons en mesure de contraindre à la fois les propriétés des populations de trous noirs (en prenant en compte plus de modèles de population de trous noirs que dans cet article) et les paramètres cosmologiques : la constante de Hubble, mais aussi la densité de matière noire et l'énergie noire.
Les perspectives d'avenir des ondes gravitationnelles comme sirènes standard pour la cosmologie s'annoncent prometteuses !