BNSc1 vignetteC’est une une jolie moisson de données qui a demandé beaucoup de travail et qui vient récompenser les scientifiques après seulement un mois de campagne de détection d’ondes gravitationnelles par Virgo et LIGO. O3, comme est appelée cette troisième campagne d’observation, a commencé le 1er avril et devrait durer douze mois. Les améliorations apportées à la sensibilité des trois détecteurs LIGO-Virgo et le fait qu’ils fonctionnent simultanément ouvrent des perspectives sans précédent. C’est aussi la première fois que LIGO et Virgo fournissent des alertes publiques aussitôt qu’est observé un candidat crédible de signal gravitationnel transitoire. Cette stratégie vise à faciliter les observations concomitantes par les télescopes et renforcer le potentiel extraordinaire des observations multi-messagers.

« Je n'aurais pas pu rêver de meilleur moment pour être de quart ! », raconte Olivier Minazzoli, chercheur au Centre Scientifique de Monaco, collaborant actuellement avec le laboratoire ARTEMIS à Nice, et en charge de la caractérisation de Virgo au cours de la semaine passée. « Je m'attendais à voir un candidat paire de trous noirs, au mieux, mais certainement pas deux couples d’étoiles à neutrons, et encore moins ce qui pourrait être une grande première : l’absorption d’une étoile à neutrons par un trou noir ! »

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Simulation de la fusion d’un système de deux étoiles à neutrons. A partir du coin supérieur gauche et dans le sens des aiguilles d’une montre : les deux étoiles à neutrons (en blanc) spiralent l’une autour de l’autre, entrent en contact et fusionnent pour ne former qu'une étoile à neutrons unique. Une partie de la matière (dont la densité est reflétée par le code de couleurs) est éjectée dans l'espace environnant et forme un épais disque d’accrétion tout autour. L’ensemble de la séquence dure environ 0,03 s. Dans la plupart des cas, la nouvelle étoile à neutrons, plus lourde, ne survit pas à sa propre gravité et s’effondre en trou noir.

Cinq alertes LIGO-Virgo ont été émises depuis le 1er avril. Chacun peut y accéder librement et simplement en se rendant la base de données Gravitational Wave Candidate Event Database. Trois d'entre elles ont été classifées comme potentielles fusions de couples de trous noirs (BBH pour Binary Black Holes). En cas de confirmation, ce qui exige plus d’analyses - qui sont en cours - elles s'ajouteraient au catalogue de 10 fusions BBH déjà détectées par LIGO-Virgo lors des précédentes campagnes. Elles contribueraient à connaitre les processus de formation de ces objets extrêmement compacts ainsi que la nature de la gravité, de l'espace et du temps.

Pour deux d’entre elles des investigations plus approfondies sont nécessaires de la part des équipes de LIGO-Virgo, ainsi que d'une communauté scientifique plus large. Elles indiquent des coalescences de systèmes binaires impliquant au moins une étoile à neutrons (NS pour Neutron Star), la forme la plus dense que la matière peut avoir dont nous ayons la preuve de l’existence.

Le 25 avril, vers 08h18 (UTC), la fusion probable d’un couple d’étoiles à neutrons (BNS, pour Binary Neutron Star) a été observée (appelée S190425z - pour plus d’informations, cliquez sur ce lien). Elle ferait suite au célèbre GW170817, le premier BNS jamais détecté, il y a deux ans, et qui a donné naissance à l’astronomie multi-messagers utilisant des ondes gravitationnelles. La recherche de possibles sources associées à S190425z dans le domaine électromagnétique est toujours en cours. Cette recherche est beaucoup plus difficile que pour GW170817, car cette fois-ci la source est quatre fois plus éloignée et sa localisation dans le ciel fournie par LIGO-Virgo est nettement moins précise. En fait, S190425z s'est produit alors que seulement deux détecteurs fonctionnaient : LIGO-Livingston et Virgo.

L'autre signal impliquant peut-être une étoile à neutron (NS) (nommé S190426c - vous trouverez plus d'informations sur ce lien ) est arrivé le 26 avril vers 15h22 (UTC). Les trois détecteurs LIGO-Virgo fonctionnaient, mais le signal est plus faible et il n’est pas absolument certain qu'il s'agisse d'un véritable signal astrophysique. Mais si c’est le cas, S190426c est un signal extrêmement intéressant, car sa morphologie laisse penser qu'il pourrait avoir été émis par un système mixte composé d’une étoile à neutrons et d’un trou noir plus massif, la fusion finale conduisant à l’absorption de l’étoile par le trou noir. Si cela est confirmé, ce sera à nouveau une découverte sans précédent. L’étude de S190426c va demander plus de temps et implique un travail passionnant de la part des équipes de LIGO-Virgo.

« Je suis tout particulièrement enthousiaste d'utiliser les observations des ondes gravitationnelles et des autres messagers pour mieux connaître la nature de la matière dans les étoiles à neutrons », déclare Tanja Hinderer, postdoc à l'Université d'Amsterdam (Pays-Bas), « A ces densités les plus élevées possible, une cuillère à café d’étoile à neutrons pourait peser un milliard de tonnes. Les ondes gravitationnelles encodent les propriétés des deux objets avant et au cours de leur fusion, tandis que les éventuelles contreparties électromagnétiques et neutrinos sondent ce qui résulte de la fusion. Avoir des informations provenant de ces différents messagers est crucial pour comprendre ces phénomènes extrêmes. Les alertes publiques rendent hyper-excitante la chasse aux contreparties multi-messagers, et je suis curieuse de voir la variété des signatures que nous allons obtenir dans O3 pour les fusions de couples d’étoiles à neutrons et les fusions de couples mixtes étoile à neutron et trou noir, et des informations que nous pourons en tirer. »

« La dernière campagne d'observation de LIGO-Virgo s'avère être plus excitante que jamais », sourit David Reitze, le directeur exécutif de LIGO à Caltech. « Nous voyons des signaux suggérant qu’il pourrait s’agir de la première observation d'un trou noir avalant une étoile à neutrons. Si cela est confirmé, ce serait un tiercé gagnant pour LIGO et Virgo. Mais nous avons appris qu’acquérir la certitude d’une détection nécessite une énorme quantité de temps et de peine, pour vérifier et revérifier – et donc nous allons voir où ces données nous mèneront. »

« Utiliser les trois détecteurs hétérogènes est assez difficile », explique Florian Aubin, doctorant à l'Université Savoie Mont Blanc. « Mais cela permet d’identifier la position de la source dans le ciel et de rechercher des équivalents électromagnétiques ou neutrinos. Je suis vraiment excité par la campagne à venir. Deux candidats de fusions d’étoiles à neutrons et trois autres candidats de fusions de trous noirs, en moins d’un mois, cela promet une année pleine de découvertes intéressantes. C'est tout à fait gratifiant pour moi d'être ici, après deux ans de travail un peu aride. »

Avant de démarrer O3, tous les détecteurs du réseau, à savoir les deux interféromètres Advanced LIGO de Livingston et de Hanford aux États-Unis, et l’interféromètre Advanced Virgo de Cascina (Pise, Italie), ont connu une période d’améliorations très intense. Advanced Virgo a presque doublé sa sensibilité par rapport à la deuxième série d'observation (O2) qui s'est terminée en 2017.

« Depuis septembre 2017, Advanced Virgo a connu 18 mois de travail acharné pour améliorer sa sensibilité et sa résistance aux perturbations externes », explique Irène Fiori, physicienne à l'Observatoire européen de la gravitation (EGO à Cascina, Italie) et chargée des études sur le bruit environnemental de Virgo. «Ce fut un travail excellent, en collaboration avec des experts de nombreux domaines : faisceaux laser de haute qualité, alignements optiques ultra-fins, isolation sismique, compensation des défauts thermiques, etc. Et même pour la production de lumière comprimée ! »

En moyenne, Advanced Virgo peut maintenant observer de façon fiable la fusion d’un couple d’étoiles à neutrons à une distance de la Terre d’environ 160 millions d’années-lumière, et la fusion d’un couple de trous noirs à une distance d’environ 2 milliards d’années-lumière (pour des masses de trous noirs de 30 masses solaires). Actuellement, Advanced Virgo est le détecteur du réseau qui a consacré le plus de temps à l'observation de l'Univers : 90% de son temps a été passé en mode observation ; c’est un succès remarquable. Il n’a été limité que par des travaux de maintenance planifiés en coordination avec LIGO afin d’optimiser les performances du réseau, et par de fortes perturbations environnementales exceptionnelles. Ce cycle d'utilisation très élevé reflète la précision avec laquelle Advanced Virgo est contrôlé et la stabilité du bruit instrumental. Cela rend aussi Virgo plus susceptible de contribuer aux détections qui doivent encore se produire pendant O3.

« Dans la salle de contrôle de Virgo », ajoute Irène Fiori, « nous avons passé beaucoup de temps à travailler dur ensemble ou à de longues discussions scientifiques, et nous avons connu des sensations fortes. Chaque jour, on pouvait dire, à l'humeur des gens, si Virgo progressait ou était bloqué. Et puis, le 1er avril, lorsque nous avons commencé O3 avec LIGO, nous avons eu l'immense  joie d’avoir atteint une sensibilité double de celle de 2017. « Nous l’avons fait ! » a-t-on tous crié. Maintenant, chaque fois que nous récoltons un nouveau signal, c’est une satisfaction renouvelée.»

Le cycle d'utilisation très élevé d’Advanced Virgo, combiné à la distance qui le sépare des deux interféromètres Advanced LIGO et son orientation différente, accroît les capacités de localisation des sources d’ondes gravitationnelles dans le ciel et la bonne compréhension des caractéristiques des signaux. En effet, une bonne localisation dans le ciel est le facteur clé d’une campagne d'observations électromagnétiques réussie, et de la richesse des résultats scientifiques en découlant.

De nombreuses détections sont attendues, puisque Advanced LIGO et Advanced Virgo poursuivent leurs observations pendant toute l’année que doit durer O3 : d’avantage de fusions de couples de trous noirs et d’étoiles à neutrons, et espérons-le aussi, de nouveaux signaux gravitationnels émis par d’autres types de systèmes astrophysiques. Les programmes en temps réel qui scannent très vite les signaux au moment leur acquisition, et les analyses hors ligne qui traitent ensuite de grandes quantités de données correspondant à toutes les informations collectées, vont continuer la recherche des signaux gravitationnels, attendus ou non.