Une nouvelle combinaison de 10 ans de données GPS et d’un siècle de données de nivellement montre de façon cohérente que les Alpes occidentales sont caractérisées par des mouvements verticaux en surrection rapide, jusqu’à 2,5 mm/an au NW de l’arc, alors que les mouvements horizontaux aux limites de la chaine sont d’un ordre de grandeur plus faibles.
Cet apparent paradoxe s’explique par la réponse combinée de l’érosion et de la fonte des glaciers alpins d’une part, et de processus profonds à l’échelle lithosphérique d’autre part.
Dix ans de mesures continues de la déformation des Alpes et des régions périphériques par GPS permanent, en particulier par le réseau RENAG, permettent aujourd’hui de fournir une vision globale inédite des mouvements dans les Alpes occidentales. Les mouvements horizontaux à travers la chaîne sont virtuellement nuls, avec des vitesses horizontales relatives de part et d’autre de la chaine (entre la plaine du Pô et l’avant pays alpin : l’« Europe stable ») de l’ordre de quelques dixièmes de millimètres par an au maximum. Les Alpes occidentales offrent donc une opportunité unique de caractériser la contribution des processus déconnectés de la tectonique des plaques (horizontale) dans l’évolution géodynamique des orogènes.
Les données GPS permanentes permettent de caractériser les mouvements verticaux avec une précision de 0,2 mm/an. En parallèle des mesures GPS, un siècle de mesures de nivellement a été analysé, avec une précision comparable. Les deux jeux de données sont cohérents à 0,3 mm/an près. Ils montrent des mouvements verticaux nuls dans l’avant-pays alpin à l’ouest de la chaîne, ce qui permet de définir une référence stable. Par rapport à cette référence, le cœur NW des Alpes occidentales (Mont-Blanc, Vanoise) montre des vitesses de surrection supérieures à 2 mm/an, diminuant vers l’extérieur de la zone. Les Alpes du Sud (Pelvoux, Queyras, Mercantour) montrent des vitesses verticales en surrection plus faibles, de l’ordre de 0,5 mm/an. En périphérie d’orogène, la plaine du Pô et le delta du Rhône sont caractérisés respectivement par une subsidence à 1,5 mm/an et 1 mm/an (Figure 1).
Figure 1. Vitesses verticales (mm/an) basées sur la combinaison des mesures GPS et nivellement.
A la différence des mouvements horizontaux qui sont classiquement reliés aux déplacements relatifs des plaques tectoniques, les mouvements verticaux rapides observés dans les Alpes occidentales peuvent s’expliquer par différents mécanismes. A l’échelle du millénaire, le retrait des glaciers depuis le dernier maximum glaciaire (20000 ans), combiné à celui du petit âge glaciaire (LIA) et au retrait actuel des glaciers alpins peut expliquer environ 0,3 à 1,8 mm/an de surrection régionale selon les modèles, par le phénomène de rebond post glaciaire (GIA, glacial isostatic adjustment). A l’échelle du million d’années, la dynamique de l’érosion de la chaîne, qui redistribue les masses rocheuses du cœur de l’orogène vers sa périphérie, induit aussi un rebond isostatique avec des vitesses de l’ordre de 0,3 à 0,5 mm/an selon les différents modèles, localisé au Nord des Alpes occidentales. La surrection positive de la surface mise en évidence dans les Alpes, en particulier dans les Alpes du NW, impliquerait donc une origine profonde, liée à la dynamique lithosphérique à la base de la racine alpine. Cette hypothèse est cohérente avec les données gravimétriques qui montrent un écart significatif à l’équilibre isostatique sous les Alpes occidentales internes. La topographie actuelle de la chaîne serait donc supportée dynamiquement par du matériel mantellique chaud et ascendant, ce qui peut expliquer partiellement les mouvements verticaux observés. Les données tomographiques sous les Alpes montrent effectivement une anomalie de vitesse sismique faible sous les Alpes du Nord entre 90 et 150 km de profondeur, associée à du matériel mantellique chaud et à un possible détachement de panneau plongeant lithosphérique (Figure 2). Il y a une très bonne corrélation spatiale entre la zone de surrection rapide mise en évidence par géodésie et la zone à faibles vitesses dans la lithosphère, à la fois longitudinalement et latéralement à la chaîne alpine. Le remplacement de matériel dense lithosphérique par du matériel moins dense peut créer une zone de faiblesse et localiser la déformation, et est cohérent avec une traction verticale positive à la base de la lithosphère pouvant induire les mouvements verticaux observés.
La caractérisation de mouvements verticaux dans les Alpes Occidentales, d’un ordre de grandeur plus rapides que les mouvements horizontaux, permet de repenser la cause de la sismicité alpine, et aura des implications in fine sur l’aléa sismique. Ces données géodésiques infirment le mécanisme d’effondrement gravitaire comme possible origine des séismes, et mettent en avant le rôle des processus isostatiques de la surface jusqu’à l’échelle lithosphérique.
Figure 2. Coupe perpendiculaire à la chaîne alpine. a) Vitesses verticales. Les points verts et bleus représentent les mesures de nivellement et GPS, respectivement. Le profil couleur saumon correspond au champ de vitesses verticales de Figure 1. Le profil jaune indique les prédictions sommées des modèles de GIA et d’érosion. b) Topographie moyenne le long de la coupe. c) Image tomographique des anomalies des vitesses sismiques du manteau supérieur d’après Lippitsch (2003).
Article diffusé dans CNRS-Hebdo du 21 juillet 2016
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