Le cycle sismique est classiquement présenté comme une alternance entre une phase inter-sismique, au cours de laquelle les contraintes tectoniques sur les failles augmentent, suivie d’une brève phase co-sismique, dans laquelle un séisme important relâche ces contraintes accumulées.
Ces dernières années, des études paléosismologiques ont au contraire mis en évidence sur plusieurs failles, de très longues phases inter-sismiques dont le relâchement conduit à l’occurrence d’événements sismiques multiples, ce qui a fait émerger la notion de « supercycle ».
Article publié dans les actualités de l'INSU le 10 janvier 2017
Dans une étude publiée le 26 décembre 2016 dans la revue Nature Geoscience1, une équipe regroupant plusieurs laboratoires français2 montre sur une période actuelle que la forte sismicité en Equateur depuis 110 ans requiert de faire appel à ce concept de supercycle.
Depuis 1906 et l’occurrence d’un séisme de magnitude 8.6, la subduction de l’Equateur, qui accommode la convergence entre les plaques Nazca et Amérique du Sud, a été particulièrement active. Cette zone a été touchée par des séismes de magnitude 7.7-8.2 en 1942, 1958 et 1979, et finalement par le récent séisme de Pedernales (Figure 1), le 16 avril 2016 d’une magnitude 7.8 qui a causé près de 700 victimes. Sur la base de la sismicité du XXème siècle, différents projets3 ont été développés depuis 2007 en collaboration avec l’Institut de Géophysique à Quito, afin d’améliorer notre capacité d’observation des déformations terrestres dans cette zone, en y installant GPS, sismomètres et accéléromètres.
Ainsi que détaillé dans l’article1, ces observations directes de terrain ont tout d’abord permis d’analyser le séisme de Pedernales avec un détail bien supérieur aux séismes passés de la région. En y adjoignant les mesures par interférométrie satellitaire (InSAR) et les enregistrements sismiques à l’échelle du globe (entre autres par le réseau GEOSCOPE), le déroulement spatio-temporel de la rupture sismique a pu être reconstitué (Figure 2). Cette dernière s’est propagée unilatéralement vers le sud sur une distance de 100km, en rompant en 45 secondes l’interface entre les plaques, à des profondeurs entre 15 et 30km. Cette direction préférentielle de la rupture a créé une forte amplification des ondes sismiques pour les zones situées au sud de la rupture, par un effet dit de directivité (Figure 1). Cet effet explique au moins en partie les forts dégâts observés dans les villes de Portoviejo ou Manta tandis que les villes au Nord de la rupture (Esmeraldas) ont été peu touchées. La rupture du séisme de Pedernales est également caractérisée par deux zones de glissement important, dont la plus forte atteint 6 mètres sur une surface de 30 x 30 km2. La forte chute de contrainte associée et la position de cette zone directement sous la côte ont conduit à d’intenses accélérations du sol, surpassant en plusieurs endroits la valeur de la gravité.
En dépassant ensuite l’analyse du séisme lui-même, l’étude se penche sur le fonctionnement sismogène de ce segment de la subduction. Les données GPS, qui permettent de déterminer quelles contraintes s’accumulent sur la subduction, année après année, révèlent que les déplacements induits par les séismes de 1942, 1958, 1979 et 2016 sont plus grands que le potentiel accumulé par le mouvement des plaques tectoniques depuis 1906. Autrement dit, la récurrence élevée de grands séismes depuis 1906 correspond à la libération de forces accumulées pendant plusieurs siècles. Des données récentes de paléosismologie marine acquises lors d’une campagne en mer en 2000 sur la marge équatorienne4 confirment une grande période de silence sismique avant le 20ème siècle et une séquence similaire à la fin du Moyen-Age. La subduction nord-Equateur et sud-Colombie semble donc suivre ce comportement "supercycle", déjà indiqué par des méthodes de datation sur des failles continentales et la subduction de Sumatra. Faute de la connaissance précise de l’histoire des séismes sur une longue période de temps, ce fonctionnement complique fortement l’appréhension du risque sismique. L’occurrence d’un séisme, même important, ne conduit en tout cas pas à la conclusion intuitive d’une baisse momentanée de l’activité future. La subduction de l’Equateur témoigne même d’un fonctionnement opposé, en ayant été touchée par un nombre élevé de séismes depuis le grand tremblement de terre de 1906.
Figure 2 - Processus de rupture du séisme de Pedernales. A gauche, instantanés de la progression de la rupture, indiquant le glissement (en mètres) qui s’accumule tous les 6 secondes. A droite, illustration de quelques stations utilisées pour l’analyse de la rupture du séisme. Les déplacements observés, en noir (en cm en fonction du temps en secondes), sont modélisés par les synthétiques en rouge. Les trois composantes de chaque point d’observation (Est à gauche, Nord au milieu, et verticale à droite) sont représentées. Crédits : modifié de Nocquet et al., Nature Geoscience (2016) |
Contacts scientifiques :
- Jean-Mathieu Nocquet, Geoazur, nocquet@geoazur.unice.fr, 04 83 61 86 25
- Martin Vallée, IPGP, vallee@ipgp.fr , 01 83 95 77 23
2-L’équipe, conduite par le laboratoire Geoazur (CNRS/Université Nice Sophia Antipolis/Observatoire de la Côte d’Azur/UPMC/IRD), implique également l’Institut de physique du globe de Paris, IPGP (CNRS/IPGP/Université Paris-Diderot/Université de la Réunion) et l’Institut des sciences de la Terre Paris, ISTeP (CNRS/UPMC) ainsi que deux laboratoires équatoriens (IG-EPN et IGM) et une contribution colombienne (SGC).
3-Tout d’abord à l’instigation du laboratoire Geoazur, ces projets ont ensuite intégré plus largement la communauté française (IPGP, ISTeP), et ont bénéficié de l’implication continue de l’IRD ainsi que du soutien de l’ANR.
4-Earthquake-triggered deposits in the subduction trench of the north Ecuador/south Colombia margin and their implication for paleoseismology, S. Migeon, C. Garibaldi, G. Ratzov, S. Schmidt, J.-Y. Collot, S. Zaragosi, L. Texier, Marine Geology.